26- Chatouilles

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              En bas, l'homme qui me faisait face n'était pas Philippe. Il était élancé, brun et portait un uniforme de policier. Sa mine était fermée, professionnelle et laissait entrevoir une ombre de satisfaction. Ma mère Isabell lui tendait la main:

_ Et bien Monsieur, merci de votre ponctualité, bonne journée ! remercia ma mère.

L'homme partit en me saluant poliment et disparut. Ma mère se retourna vers moi.

_ Ma chérie, j'ai une annonce à te faire.

_ Oui laquelle ?

_ Lawrence est actuellement surveillée et enfermée dans un hôtel de Norvège. Elle se serait rebellée ...

_ ... où en Norvège ?

_ Je ne sais pas, cela reste un secret d'état. On attend que son père soit neutralisé. Ton père nous en dira plus ce soir. Mais... c'est une bonne nouvelle, n'est-ce pas ?

À vrai dire, la nouvelle me laissait hébétée. D'une part, je voyais que ma mère hésitait et disant cette dernière phrase mais elle aimait tellement ses enfants qu'elle devenait parfois naïve de tout brin de dispute entre frères et soeurs qui aurait pu faire brûler nos liens de sang.

Elle voulait qu'on s'aime...
Elle devait être terriblement déçue.

D'autre part, j'étais soulagée que ma soeur puisse parvenir à s'être "purifiée" d'elle-même. Elle avait peut-être changée par je ne sais quel processus.
Je répondai peu sûre de moi:

_ Ou-oui maman. C'est bien.

Elle m'embrassa sur le front et partit s'affairer à préparer un plat en chantonnant. J'avoue que j'avais un peu peur à l'idée de revoir celle qui avait failli me tuer peu de temps auparavant.

Vers 18h30, la porte de l'entrée s'ouvrit. Je détachai mon regard de l'écran de télévision et vit mon père. Toujours très bel homme avec son allure de viking, svelte et athlétique, un plis soucieux barrait son visage.

_ Bonsoir les filles, souffla t'il.

Mes parents firent leurs commodités et on se mit à table. Mon père se décida enfin à dévoiler ce qui le tracassait.

_ J'ai deux choses à vous dire.

Ok, ça commence mal... me dis-je.

_ La première est que comme vous le savez déjà, Lawrence va bien. Elle est surveillée 24h00 sur 24h00 depuis hier soir. La seule chose est que nous ne savons pas ce qu'il adviendra d'elle...

Il prit la main de ma mère dans la sienne.

_ Nous ne savons pas si elle ira en prison et pour combien de temps. Peut-être même sera t'elle exécutée pour crimes contre l'humanité.

Ma mère baissa le regard. Bien sûr qu'elle devait savoir cela, c'était pourtant évident !

_ La deuxième est que Pierre ne se réveille pas. J'ai appelé tous les meilleurs médecins à son secours mais beaucoup sont occupés dans les hôpitaux en raison des nombreux attentats qui frappent les villes en ce moment.

Il marqua une pause comme s'il redoutait de me poser la question.

_ Tu n'as toujours pas eu de vision ?

_ Non papa, toujours pas... ça fait quelque temps...

Il me sourit pour me rassurer que ce n'était pas grave mais on voyait bien que la lueur d'espoir au creux de ses yeux s'était enfuie. Tous les jours les bombes pleuraient. À Rio de Janeiro, à Versailles, à Washington, à Marrakech, à Tunis, en Chine, au Japon... la liste était longue et des plus désastreuses.

Combien de morts comptaient le pays depuis le début de cette guerre ?

La télévision annonça son chiffre en écho telle une réponse à ma question intérieure.

"Des millions d'âmes tombent chaque jour au hasard. Environ 400 millions ont poussé leur dernier souffle depuis un an seulement face au début majeur des attentats. Des innocentes, des oubliées, des couples amoureux qui n'ont pas le temps de vivre. Que cela cesse ! Comment pouvons nous réagir face à un ennemi qui se terre dans sa base ? [...] Heureusement une unité militaire a pris l'initiative de se rendre sur le bateau alors introuvable. Sont-ils morts ou vifs ? ..."

Le soir, je décidai de me rendre au chevet de mon frère afin de lui redonner une envie de vivre. Trop d'âmes tombaient.

*********

PDV Lawrence:

Le téléphone sonnait dans le vide. Je l'entendais. Le soir du lendemain vers 22h00, je décidai d'appeler une nouvelle fois mon frère. Mon impatience légendaire me rongeait. Je voulais lui dire que j'étais là. Que j'étais revenue de plein gré. Comme s'il devait me féliciter de quelque chose. Je savais qu'il était à l'hôpital mais je ne connaissais pas son état.

Je tapais le numéro sur le téléphone qu'on avait mis à ma disposition.

"Bip...bip...bip..."

Une voix décrocha. Je la reconnaissait entre mille.

_ Allô ?

_ ...

_ Allô ? Il y a quelqu'un ? répéta la voix.

_ ...

"Bip".

Je venais de raccrocher le portable et le déposai les mains tremblantes sur le lit d'hôtel. La voix... cette voix pitoyable que je détestait, que je n'avais plus voulu entendre. Celle de ma chère demi-soeur venait de résonner dans mes oreilles comme un lointain souvenir que l'on veut vous rentrer de force dans le cerveau à coup de marteau.

Le garde toqua à la porte et entra. Sans un mot ni même un regard, il repartit en ayant pris soin de me prendre le portable du lit.

J'avais compris que j'étais séquestré ici et non protégée.

Je lâchai un soupir à fendre l'âme. Je m'ennuyai vraiment. Chaque matin, je faisais mes exercices sportifs afin de me tenir en forme mais ce n'était pas suffisant pour calmer l'inquiétude qui me tiraillait les entrailles. Cette inquiétude causée par Pierre qui ne répondait pas, et Franck qui ne réapparaissait pas.

J'étais tellement seule ... Je n'aimais pas me remettre en question de peur de me rappeler combien je l'étais vraiment. Mon frère me haïssait, mon père adoptif devait sûrement me détester puisque j'avais failli tuer sa propre fille, mon demi-frère me rejetait et visiblement, les hommes ne me revenaient pas.

Étais-je un monstre sans coeur ou une femme indomptable ?

******

Après cette passe, je me douchai et en ressortant, je détendais mes muscles en essayant de les masser avec de l'huile essentielle à la menthe.

Je repensais à Pierre.
Je ne voulais plus appeler de peur de tomber encore une fois sur ma chère demi-soeur. Je me prive pour elle ! Ce qu'elle pouvait m'énerver malgré elle... Suis-je trop dure envers elle ? Je ne l'avais jamais porté dans mon coeur puisqu'elle était la chouchoute de ma mère et de son père. Moi, je n'avais jamais vraiment existé qu'en tant que la fille d'un couple qui ne s'était jamais aimé. Comme l'enfant de deux êtres liés à l'autel mais pas en âme.

Comme l'enfant non désiré.

Une larme coula, puis une autre. Elle roula le long de ma joue me chatouillant de ci, de là par sa caresse.

Ou peut-être n'étais-je encore qu'une enfant à la recherche de l'amour de sa famille ?

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Marianne, ClairvoyanceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant