Chapitre 3

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Adossée contre un arbre, je profitai du calme et des minutes de répit que j'avais enfin.

J'avais préféré partir, ne supportant plus les rumeurs à mon sujet. Ici au moins, personne ne s'occupait de savoir si j'avais renversé mon assiette ou buté contre une chaise.

La tête posée contre l'écorce sèche et rugueuse, je me détendis puis me concentrai sur les sensations que je ressentais : la fraîcheur de la brise sur ma peau, le picotement de l'écorce, le balancement des feuilles...

Mes yeux se fermèrent et ma main se déplaça sur le sol, frôlant l'herbe de ma paume.

Elle est mouillée. -Constatai-je rapidement.

Nous étions en début d'après-midi et la pluie n'avait cessé de tomber ce matin.

Mes doigts se resserrent sur un brin d'herbe, glissant sur les gouttes tièdes. Je le caressai doucement, appréciant la sensation.

Je tentai alors d'imaginer la couleur de cette herbe, la force de l'arbre...

Parfois, j'oubliais ce qu'étaient les couleurs : il n'y avait qu'un noir, ténébreux et infranchissable voile noir qui ne me laissait jamais seule.

Un petit soupir sortit de mes lèvres entrouvertes : peut-être devrais-je laisser tomber ?

Je m'entêtais à essayer de vivre normalement mais était-ce vraiment le bon choix...?

L'idée de baisser les bras était tentante : je n'aurais plus à supporter toute cette souffrance, les rumeurs se tairaient enfin.

Je serais enfin libre...

Je savais qu'il y avait des écoles spécialisées pour les non-voyants dans l'Etat mais j'avais refusé d'y aller : je savais qu'une atmosphère morose et désespérée autour de moi ne ferait qu'accentuer mon malaise.

L'année est bientôt finie, tiens encore un peu...

La sonnerie vibra soudainement sous ma peau, me faisant presque sursauter.
M'appuyant contre le tronc qui était derrière moi, je m'agrippai à mon sac et entamai le chemin vers la prochaine salle.

Rappelle-toi : quinze mètres tout droit, puis on tourne à gauche, on marche ensuite pendant quatre mètres... A partir de là, il y a des escaliers : un pas, une marche. Il y en dix. Dis pas, on marche encore tout droit pendant six mètres et la salle est à gauche.

Je détestais cette foutue salle : j'étais incapable de me situer dans l'espace et je tombais toujours sur une des marches, la même à chaque fois.

... c'est parti !

J'inspirai brusquement et me concentrai.

Un pas. Une marche.

J'enjambai la première marche avec succès et comptai mentalement jusqu'à trois avant de la relever.

... deux marches.

Mon pied buta contre quelque chose.

Concentre-toi ! Un pas, une marche.

Je me repris rapidement et recommençai.

... et de trois. Tu va y arriver, courage.

Je hochai la tête, m'encourageant inlassablement.

... quatre.

C'était déroutant de toujours se mouvoir dans l'obscurité : j'avais l'impression de revenir une dizaine d'années en arrière, lors de mes nombreuses parties de cache-cache dans le noir... Si j'avais su que je serais dans cet état pour le reste de mes jours, jamais je n'aurais recommencé ce jeu.

La Face Cachée de la LuneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant