IX : Besoin d'Air

1.7K 145 23
                                    

Profitant de ce moment de répit, la jeune fille attaqua son assiette. Elle avait du mal à manger à cause de sa main bandée et utilisa donc sa main droite, beaucoup moins habile, étant gauchère.

Ezio la fixait profondément, observant le moindre de ses gestes et étudiant ses mouvements. Il avait sûrement dû remarquer la difficulté avec laquelle elle mangeait à l'aide de sa main droite car il prit la parole subitement.

"Je suis désolé pour ta main - il désigna de la tête son bandage - et d'ailleurs pour toutes tes blessures. Si j'étais intervenu plus tôt, tu n'aurais pas été blessée. Et surtout, si j'avais été plus vigilant pendant ce combat - il soupira -, tu ne serais pas là à regarder un homme incapable de bouger sur son lit.

- Ce que j'ai fait est normal, rétorqua-t-elle. Je l'aurais fait pour n'importe qui en difficulté. Je ne laisserai pas les Borgia instaurer leur règne de terreur sur la ville."

Ezio acquiesça de la tête. Il partageait visiblement sa manière de penser. Finalement, elle lui plaisait bien cette petite.

Soudain, Adria se leva brusquement. Elle posa son écuelle à un endroit où elle savait qu'Ester allait la trouver et se dirigea précipitamment vers la porte.

"Veuillez m'excuser, il faut que je sorte."

Il fallait qu'elle sorte, le regard que l'homme posait sur elle était beaucoup trop ... trop intrusif.

Elle n'aimait pas ça, toute sa vie, elle avait caché son identité et même son existence au monde et voilà qu'elle venait de révéler son nom au premier inconnu, armé qui plus est, qu'elle rencontrait.

La jeune fille avait besoin de se refondre dans l'ombre, comme elle l'avait toujours été, cachée et protégée. Elle ressentait l'appel des toits comme une envie irrésistible montant du fin fond de son ventre. Cette vie cachée et clandestine était dans sa nature, elle ne s'imaginait pas vivre autrement.

Elle passa en coup de vent dans le salon, attrapant au passage son sac en cuir, puis croisant Loris et sa femme, elle leur lança :

"Je reviens ..."

Puis rajouta tout bas, pour elle :

"Ou pas ..."

Ouvrant la porte à la volée, grimaçant de douleur en se rappelant que sa main gauche était blessée, elle déboucha dans la rue.
Au vu du soleil haut dans le ciel, l'après-midi était bien entamée, et les gens affluaient dans la rue.

L'atmosphère de la ville de jour était totalement différente : là où la nuit, Florence livrait un calme inquiétant et quelque peu spécial, le jour, c'était une débandade d'hommes et de femmes, pressés de vaquer à leurs occupations. L'air était empli de parfums exquis et du doux bourdonnement de la foule.

La journée, il était aussi plus facile de se dissimuler et de se fondre dans la foule. Mais là, Adria n'en avait pas envie. Elle tourna la tête plutôt vers les toits. Les façades du quartier étaient des plus faciles à escalader de Florence, avec toutes ces aspérités censées donner du charme aux bâtisses et exposer la fortune de leurs propriétaires.

Elle traversa lestement la foule, s'y fondant comme une ombre. Sans jeter un coup d'œil derrière elle, la jeune fille commença son ascension, sa main gauche serrée contre son flanc et l'autre attrapant les moindres déformations et défauts pour se hisser jusqu'au toit.

Elle y arriva en quelques secondes, beaucoup plus lentement que d'habitude cependant, du fait de son handicap. Plusieurs personnes s'exclamèrent dans son dos, sûrement peu habituées à voir une jeune fille escalader une façade ainsi en plein milieu de la rue.

Elle bascula d'un coup d'épaule sur les tuiles et se releva, secouant ses vêtements couverts de poussière.

La jeune fille se dirigeait vers son repaire, passant par les toits pour éviter l'encombrement de la foule, et surtout les gardes Borgia qui patrouillaient régulièrement dans les rues. Après quelques minutes de marche, elle arriva non loin de la zone de combat de la nuit passée. Elle s'approcha du bord et observa.

En contrebas, les corps avaient été retirés, sûrement pour éviter cette horrible vision aux plus riches qui fréquentaient le quartier.

Cependant, le sol était encore souillé de sang, noirâtre à présent, et quelques gardes surveillaient l'endroit, empêchant, en pointant leur lance, les quelques badauds trop curieux de s'approcher.

Adria se réfugia rapidement derrière le muret qui bordait le toit lorsqu'un des gardes leva la tête vers elle.

Il ne fallait surtout pas que les gardes la repèrent sur les toits, elle ne serait pas en mesure de se défendre contre autant de soldats en même temps, surtout dans son état actuel, même si elle savait que sa position élevée lui procurait un avantage certain en cas de problème.

Puis, elle repartit au pas de course, ne préférant pas rester plus longtemps sur les lieux de la boucherie. Au bout de quelques dizaines minutes, la jeune fille déboucha dans un autre quartier de Florence.

C'était un quartier assez mal famé qui accueillait beaucoup de mendiants et de gueux. Elle se positionna sur un toit, au dessus d'une grande maison, à priori inhabitée. Elle était identique ou presque à celles qu'elle côtoyait.

L'extérieur était crasseux, la porte avait été arrachée, les volets gisaient au sol et des bouts de verre brisé jonchaient la terre.

Puis, vérifiant que personne ne la voyait, elle se suspendit au bord du toit à l'aide de sa main droite et se glissa souplement à travers une fenêtre, évitant de se blesser avec les bouts de verre encore accrochés au montant.

Elle atterrit un peu gauchement dans la pièce, se rattrapant à une armoire.

La chambre était assez spacieuse, un lit rudimentaire gisait dans un coin, recouvert de couvertures. Un coin était encombré de meubles en tout genre, poussés ou empilés là en un étrange désordre rangé. Derrière, on distinguait avec peine un montant de porte close.

Ici, c'était le repaire d'Adria, son chez-elle. C'est là qu'elle venait dormir le jour et où elle entreposait ses trouvailles. On pouvait seulement y accéder par la fenêtre, et de toute façon, personne dans ce quartier mal famé n'avait osé s'approcher de cette maison depuis des lustres. Des rumeurs circulaient comme quoi elle était hantée et on retrouvait souvent des traces de sang devant la porte.

Le fantôme censé hanter ces lieux était celui d'un soldat Borgia égorgé puis décapité devant la bâtisse. Il serait là pour se venger de son meurtrier. Enfin, s'il avait voulu vraiment se venger, l'habitante de la maison serait déjà pendue haut et court !

Et pour les traces sanglantes, c'était Adria qui les faisait, répandant le sang des animaux qu'elle chassait parfois et qu'elle vidait devant la maison avant d'aller les faire cuire dans la cheminée d'une maison voisine.

La jeune fille déposa son sac à terre et s'écroula sur le lit, à bout de souffle, elle avait fourni un effort beaucoup trop important pour sa convalescence actuelle, elle sentait son sang cogner contre ses points de suture, prêt à les faire sauter au moindre mouvement. Elle s'endormit ainsi, exténuée.

Arcanes | Assassin's CreedOù les histoires vivent. Découvrez maintenant