Chapitre 1

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Assis sur le rebord de la fenêtre, je regardais la pluie tambouriner sur la vitre. À chacun de mes souffles, celle-ci s'embuait légèrement, créant un voile entre moi et l'horizon. La silhouette des arbres biscornus devenait alors floue. 

Parfois, pendant de fugaces secondes, le verre me rendait mon reflet. Mes pupilles azurés me fixaient alors d'un regard absent. Dans ses moments de solitude aucune émotion ne me traversais. Je n'étais ni heureux ni malheureux, juste absent.

Je contemplai les gouttes d'eau glisser le long des carreaux. Celles-ci terminaient toujours leurs lentes courses dans le buisson en dessous de la fenêtre. Toujours. Que le vent se lève, que la tempête gronde, que la fin du monde débarque : la minuscule gouttelette n'échappait pas à son funeste destin.

La plupart des jeunes de mon âge aurait eu d'autres plans pour un dimanche soir : Fête, alcool et j'en passe. Moi, tout ce que je désirais en ce moment, c'était être tranquille à la maison. Les matins amochés j'en vivais déjà assez. Pas à cause d'abus d'alcool, non, mais des insomnies. Pas une seule nuit ne s'écoule sans que je me réveille en nage, le prénom de ma mère au bout des lèvres, le cœur battant à la chamade. 

Abigaël Desemeraude. Maman. Après toutes ses années je ne savais plus quoi prononcé lorsque je parlais d'elle. Elle a disparu lors d'une nuit d'été. J'avais six ans à l'époque, du moins c'est ce que l'on m'a toujours répété. Je me souviens de rien. Le noir total a envahi cette journée et les suivantes. Parfois de brefs souvenir reviennent : un regard, une parole, une odeur. Mais rien de concret. 

Ma Grand-mère ne cessait de me répéter de ne plus m'en faire avec ça, qu'ensemble nous formions ce qu'est une famille maintenant. Mais je n'y arrivais pas. Je voulais savoir comment elle a fait pour m'abandonner? Pour partir dieu je ne sais où sans moi? Comment une mère pouvait-elle laisser son petit derrière et partir? Comment?

Un spasme de colère parcouru mon corps. Je fis craquer les articulations de mes doigts en prenant de grandes respirations. Il n'était pas question que je succombe à la rage. Elle ne méritait pas ça

— Emmanuel?

La voix nasillarde de ma grand-mère me fit sursauter, j'étais pourtant sûr d'être seul à la maison.

— Je suis dans le salon, lui répondis-je.

Elle arriva quelques secondes plus tard. Personne ne pouvait nier qu'elle et moi nous partagions le même ADN. Son corps frêle se devinait facilement derrière son gros manteau rouge cerise, et, sur son visage, malgré les signes de l'âge, on pouvait percevoir des pommettes qui s'apparentaient aux miennes.

Elle ôta son manteau et le déposa sur le fauteuil.

— Tu ne trouves pas qu'il fait froid? me demanda-t-elle en se frictionnant les bras à l'aide de ses mains.

Je hochai la tête négativement; il faisait plutôt doux pour ce temps de l'année. Nous avions même eu un été des Indiens qui avait duré plus longtemps que prévu. Malgré tout, l'automne tirait immanquablement à sa fin.

— Ça doit être un signe de vieillesse alors, ricana-t-elle.

Je lui souris tristement. Ces dernières années n'avaient été faciles pour personne, et ma grand-mère n'avait pas échappé à la règle malheureusement. La disparition de sa fille unique l'avait ébranlée plus qu'elle ne le laissait paraître.

Elle me rendit mon sourire et quitta la pièce pour passer à la cuisine. Notre maison n'était pas très grande, en quelque enjambé nous faisions le tour des pièces au rez-de-chaussée. Idem pour les pièces du second étages. Malgré ce détail, cette maison était tout pour moi. Elle m'avait vu grandir, changer. Chaque jour qui passait, l'idée de la quitter me rendais malade. Mais je savais qu'un jour je n'aurai pas le choix. Je devrai me trouver du boulot et dans cette minuscule ville, c'est plus qu'une cause perdue. Nous avions à peine assez d'ado pour faire vivre l'école secondaire. Bientôt ce village ne sera peuplé que de vieillard à la retraite.

La nostalgie des ÉtoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant