Chapitre 31

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Cadfaël accusa le coup en hochant vivement la tête de droite à gauche. Je percevais maintenant clairement le contour de son corps effilé. Ma vision s'améliorait, mais mon cœur continuait à se tordre de douleur. J'avais moi aussi le désir de réfuter cette affirmation, mais toutes les preuves étaient contre elle maintenant et ça, je ne pouvais pas le nier.

Qui d'autre pouvait contrôler les gens ainsi?

-Je n'arrive pas à y croire, marmonna-t-il. Ce n'est pas possible.

-Tu ne la pense pas capable de faire ça ? N'ai pas peur de me répondre. Avec tout ce qu'elle a déjà fait, cela fait longtemps que j'ai perdu ma mère.

C'est cela qui me faisait le plus de peine. Ma mère, celle que j'idéalisais étant tout petit n'est plus. Et il ne lui reste guère de chance de revenir à la raison. Je n'arrêtais pas de me remémorer nos moments passés ensemble. Peut-être que si j'avais été plus attentif lors de mon court séjour au conseil j'aurais pu la faire changer d'idée. Qui sait...

Quelques secondes s'écoulèrent dans un silence plombant, seuls les hiboux continuaient leurs sempiternelles lamentations. Eux aussi devaient pleurer la fin de la paix.

-Je-Je ne sais pas. C'est vrai que son intervention au conseil était étrange, mais pas au-delà de ça...Je n'arrive pas y croire, répéta-t-il.

-Moi non plus Cadfaël, moi non plus.

Nous restâmes silencieux, chacun plongé dans ces pensées pendant plusieurs minutes. L'astre lumineux commença sa descente vers les profondeurs de Turquaze. Le ciel se teinta de sa couleur vermeille et même si on en apercevait qu'un petit fragment à travers les ramures des conifères, c'était suffisant pour apposer un baume relaxant sur ma poitrine.

Tammy et Liam débarquèrent silencieusement quelques minutes après que des centaines d'étoiles aient éclos dans le firmament. À la lueur des braises mourantes, je perçu leurs visages clairement. J'avais de toute évidence retrouvée la vue.

-Alors, Emmanuel, on aime faire trempette dans la rivière?, me taquina Tammy.

Liam lui assena un coup de coude dans les côtes. Elle grimaça, mais se tue.

-Ce que cette demoiselle voulait plutôt dire, c'est que nous sommes désolés de ne pas avoir été là pour t'aider. On avait repéré une piste des elfes et nous avions complètement oublié que tu étais resté derrière. Tu nous pardonnes ? S'il vous plaît ?

Il était là, les mains jointent près de son torse, son visage me suppliait de lui faire grâce. Je le fis patienter, rien que pour mon plaisir personnel.

-Ça va Liam, je vous pardonne, mais ne me refaite pas un coup pareil, pitié.

-Merci mon frère, dit-il en m'enlaçant de ses gros bras.

-La piste vous a tel apporter quelque chose au moins ?, lui demandais-je une fois extirpé de son accolade.

-Mis à part un face-à-face avec Cadfaël, non. Il s'est avéré que c'était ses traces à lui que nous suivions. D'ailleurs tu ne nous as toujours pas dit ce que tu faisais là ?

Cadfaël allait ouvrir la bouche lorsque Tammy l'interrompit.

-On parlera plus tard, moi je meurs de faim. Tu me donnes les lièvres ?

Liam soupira, exaspéré de sa dulcinée. Il s'empara de sa besace, qui avait préalablement déposé sur le sol et la passa à la rouquine.

Celle-ci l'ouvrit et sortit deux petites carcasses sanguinolentes. Je détournai les yeux, ce qui m'a évité probablement de vomir. Je n'ai pas toujours le cœur à supporter de voir autant d'hémoglobine. Surtout pas ce soir, pas après tout ce qui s'était passé.

Elle les fit griller à travers les braises du feu. Une odeur alléchante vint rapidement flotter dans l'air. Après un temps de cuisson raisonnable le souper était servi.

-C'est excellent, dis-je, en venant m'installer au côté de Liam sur le sol, tout près des flammes.

-Les lièvres sur Turquaze sont les meilleurs.

De ce fait, il croqua dans sa cuisse de lapin à pleine dent comme si sa vie en dépendait. Un murmure de satisfaction se fit entendre tout de suite après.

Je pouffai de rire discrètement et retournai à mon assiette. Mise à part la viande, il avait aussi des sortes de racines à l'allure de navet. J'y goutai, intrigué. Ce n'était pas mauvais, mais à force d'en manger, un gout amer s'installait dans mon palet.

Après avoir dégusté mon repas, je me retournai vers Liam, qui venait tout juste de déposer son écuelle vide sur le sol.

-Ça me fait drôle de voir des animaux qu'on peut retrouver aussi sur terre, dis-je.

Il se tourna vers moi, le visage rougi par la chaleur des flammes.

-Oh, tu serais surpris de voir parfois les ressemblances à travers les mondes. Ils sont tous uniques, cela va de soi, mais y'a des choses qui ne changent pas.

Il engloba de ses larges mains la forêt.

-Tu entends, continua-t-il, les jérémiades du hibou? Ses êtres magiques se retrouvent sur chaque planète, que celle-ci soit faite de glace, soit submergé sous des kilomètres d'eau, ou même composé uniquement de volcan. On peut entendre son hululement de partout. Comme en ce moment.

Je le regardai, l'envie d'éclater de rire était tout près.

-Les hiboux ? Des êtres magiques ?, ricanais-je.

-J'ai dit hibou parce que c'est leurs chants qui se rapprochent le plus de ses créatures. Bien évidemment, sur Terre, ils sont inoffensifs, sauf si tu as affaire aux Filantes. Filante c'est le nom de cet être que tu entends chanter depuis tout à l'heure. On les entend, mais nul ne peut les voir. C'est mieux ainsi, crois-moi, les histoires de ceux qui disent avoir rencontré une Filante... eh bien elles ne se terminent jamais bien.

-Les bonnes vieilles légendes, j'adore ça, dis-je en croisant mes jambes.

-Tu te serais bien entendu avec mon frère. Aaah ce qu'il aimait raconter des contes de toutes sortes celui-là.

Un voile de nostalgie se peignit sur le visage du soldat. Le halo orangé projeté par les flammes rendit son visage beaucoup plus doux qu'à l'accoutumer. Son masque sévère était tombé. Ses yeux cendrés ne cessaient de fixer les langues de feux danser follement.

-Il n'est plus là?, demandais-je timidement.

-Non. Il est parti vivre sa vie ailleurs. Lui et mon père... Ils ne s'entendaient pas très bien. C'était mieux qu'il parte. J'aurais seulement aimé savoir où.

-Je suis désolé, répondis-je platement.

Dans ses situations-là je ne savais jamais quoi dire.

-Oh ce n'est pas de ta faute, hein! C'est ainsi que va la vie, parfois elle ait belle et d'autres fois ce n'est que cauchemar par-dessus cauchemar. Tu comprends ce que je veux dire, n'est-ce pas?

-Oh que oui! J'ai hâte de me réveiller.

Me réveiller... Ça me semblait utopique de croire qu'un jour je puisse retourner à une vie normale.

-Alors, Cadfaël, maintenant que Tammy ne risque plus de dévorer personne, commença Liam. Tu veux bien nous dire ce que tu faisais ici.

L'elfe assis de l'autre côté du feu raconta encore une fois tout ce qui lui était arrivé dans les derniers jours à Tammy et Liam. Ces derniers restèrent scotcher à ses paroles jusqu'à la fin, où ils vinrent aux mêmes conclusions que moi. Ma mère ne pouvait qu'être l'investigatrice de tous ses massacres.

-L'éloquence est un pouvoir si immense, si puissant, que de la voir chavirer du mauvais côté ne m'étonne pas tant que ça, décréta la rouquine au corps doré. Emmanuel, tu es mieux de rester dans le clan des gentils, nous avons besoin nous aussi de gens puissants.

-Donc, tu serais d'accord ?, lui demandais-je brusquement.

-D'accord pourquoi ?

-Pour m'entrainer. Je veux me battre à vos côtés.

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Voilà! J'espère que se chapitre vous aura plus :P

La nostalgie des ÉtoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant