•Chapitre 3•

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Il fait noir. La porte derrière nous s'est refermée, nous confinant dans un endroit plongé dans une totale obscurité. J'entends bien les murmures paniqués de notre petit assemblée mais j'ai l'impression d'être seule. J'ai perdu la main d'Anna et je suis trop paralysée par la peur pour l'appeler ou faire ne serait-ce qu'un mouvement. J'ai tellement peur. Je déteste cette obscurité. Mon cœur bat fort, tellement que j'ai l'impression qu'il va sortir de ma cage thoracique et je ne peux contenir de violents tremblements. Je sens des mains et des pans de tissu me frôler et à chaque fois, je sursaute en me tournant dans tous les sens. Je suis au bord de la crise de panique, la sueur plaque les cheveux échappés de ma tresse sur mon front et j'ai chaud et froid en même temps.
J'entends soudain des chuchotements à peine plus fort que les murmures. Le personnel.

- Du calme, les enfants ! Nous allons allumer les bougies mais restez tranquilles.

Certains semblent assimiler l'ordre et cessent immédiatement de s'agiter. D'autres ne font qu'amplifier les murmures.
J'entends des grattements et soudain, plusieurs bougies s'allument. Je souffle un bon coup, soulagée. Nous nous trouvons dans d'immenses coulisses poussiéreuses où sont entreposés des cartons remplis à ras bord et des décors abandonnés depuis bien longtemps. Sûrement quelques trucs qui ont survécu à la guerre et qui ont été mis ici faute de place ailleurs.
La porte que nous avons passée donne sur la gauche des coulisses qui forment un arc-de-cercle. Un long rideau rouge s'étend tout le long et derrière celui-ci, le bruit des conversations mêlées qui se répercutent contre les murs de métal. Les garçons sont priés de rester sur la gauche tandis que nous, les filles, devons suivre un membre du personnel le long du rideau pour regagner la droite.
Les bougies sont disposées de sorte à ce qu'elles suivent la forme de l'arc-de-cercle. Elles projettent des ombres inquiétantes sur les murs que j'évite de regarder. Oui, je suis une grosse froussarde.

- Emma !

Je me retourne vers cette voix familière qui m'appelle. Anna. Son visage à demi-éclairé exprime une profonde inquiétude. Elle sait combien je déteste être dans le noir. Elle semble presque être désolée d'avoir été séparée de moi. Je saisis sa main que je serre fort. Elle me sourit timidement.
Nous nous tournons toutes vers la femme que nous avons suivie. Elle porte une combinaison noire et une casquette de la même couleur qui retient sa queue de cheval. Son air autoritaire nous dissuade de désobéir si jamais nous en avions l'intention.

- Vous êtes trente en tout. Vous allez être appelés par ordre alphabétique. Une fille un garçon à chaque fois. Votre nom appelé, vous irez sur la scène et prendrez place sur le siège qui vous est attribué -votre nom y est écrit- et vous attendrez.

Et voilà. Rien de plus. Nous avancerons vers l'inconnu. Sur une... Scène... Comme dans un spectacle. C'est nous le spectacle. La femme nous donne quelques consignes que j'écoute à peine, ou que je n'entends pas tellement mon cœur bat fort dans mes oreilles. Anna me presse plus fort la main.
Les conversations cessent subitement, la lumière derrière les rideaux semblent s'atténuer. Une voix résonne.

- Mesdames et messieurs, je vous salue ! Bienvenue à la 6 011ème cérémonie du travail ! Ça en fait des cérémonies, haha ! J'appelle de suite les candidats du jour !

Un bruit de froissement de papier déchire le silence et le premier nom est appelé. Le stress me fait monter les larmes aux yeux et tandis qu'une musique résonne pour accompagner le candidat qui rentre, je m'accroche à Anna comme on s'accroche à une bouée. Le temps passe plus vite que je ne l'aurai voulu et le nom d'Anna est appelé. Quand elle s'éloigne, je reste accrochée à sa main, la freinant. Elle caresse la mienne du bout de ses doigts avec tendresse et à contrecœur, je la lâche. Je la regarde disparaître derrière le rideau, coupable de ne pas l'avoir soutenue avant qu'elle ne parte.
Trois noms sont appelés avant le mien. Dès qu'il résonne à mes oreilles, je sens un grand froid s'abattre sur moi et mes jambes refusent de coopérer. Je reste quelques secondes immobile avant que la femme me pousse derrière le rideau enclenchant le mécanisme des mes jambes.
Aussitôt, une lumière vive me brûle les yeux et je reste désorientée quelques instants pendant que résonne la fanfare qui accompagne les candidats. Je me reprends vite et marche mécaniquement vers les rangées de chaises. Il y en a deux. Chacune ayant quinze chaises. Je m'assois sur la dernière de la première rangée.
Je me rends alors compte que la lumière qui m'a éblouie est projetée par des projecteurs. Et qui dit projecteurs, dit électricité. Alors c'est cela la lumière artificielle ? La musique que j'ai entendue ne vient pas d'un orchestre comme je l'avais d'abord imaginé mais de basses sonores accrochées en hauteur. Et il fait très chaud. J'ai du mal à respirer l'air où tension et excitation se mêlent. La salle de spectacle est gigantesque. Des milliers de têtes sans visages plongées dans la pénombre sont tournées vers la scène. J'ai beau parcourir le public des yeux, impossible de trouver mon père.
Lorsque le dernier candidat s'assoit derrière moi, je suis ramenée à la réalité. Je jette un œil à ma gauche, Anna est assise trois chaises plus loin. Mon regard croise le sien. Elle me sourit. Je suis incapable de faire de même. À ma droite s'élève la même voix sonore de toute à l'heure.

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