•Chapitre 7•

265 40 11
                                    

La suite des événements s'est passée comme dans un rêve. Je suis restée longtemps recroquevillée contre un mur, accablée par le chagrin mais les yeux secs. La flaque de vomi à côté de moi apportait son odeur nauséabonde mais je ne sentais pratiquement rien, comme si mon nez avait décidé, comme tout le reste de mon corps, de se déconnecter du présent.
C'est une jeune fille qui m'a trouvée. Elle marchait d'un pas rapide, une pile de vêtements propres dans les bras. Je suis sûre qu'elle a d'abord senti l'odeur avant de voir mon corps roulé en boule sur le sol. J'ai entendu le bruit sourd des vêtements qui tombent sur le sol et sa main s'est aussitôt posée sur mon épaule pour la secouer légèrement. À défaut de pouvoir émettre le moindre son, j'ai grogné comme un animal. Je voulais qu'on me laisse, je voulais rester dans ma bulle pour ne pas affronter ce qui allait se passer.
Je ne me souviens pas de l'avoir entendue appeler de l'aide mais des pas précipités se sont approchés et plusieurs personnes se sont penchées sur moi. Malgré mon état, je me suis sentie mal à l'aise qu'autant de personnes me dévisagent en cet instant délicat. Une main brûlante s'est posée furtivement sur mon front puis, après quelques secondes, deux bras puissants m'ont soulevée par les aisselles et m'ont traînée dans le couloir. Je me fichais de savoir qui c'était, je me fichais de tout à ce moment-là. Du coin de l'œil, j'ai vu la fille qui m'a trouvée accroupie, elle épongeait le sol avec une serviette. Elle portait la tenue réglementaire des servantes et ses cheveux dorés étaient retenus en une queue-de-cheval par un élastique basique. Sylvia était à côté, discutant à voix basse avec une autre femme que je ne connais pas, les deux avaient l'air sérieux.
J'ai été traînée dans de nombreux couloirs avant qu'on ne me fasse entrer dans une pièce. Je ne l'ai pas reconnue de suite à cause de mon état brumeux. On m'a fait asseoir sur une chaise -non, un lit- et une main me maintenait immobile tandis que sa silhouette m'examinait avec attention. Ma vision était floue et je ne voyais de cette personne qu'une tâche blanche sur un fond étonnement morne. Sa voix m'a interpellée mais je n'ai même pas saisi ses paroles. Par contre, j'ai reconnu le timbre de sa voix et j'ai compris. J'étais à l'infirmerie, sur l'un des lits durs et inconfortables, et c'était le docteur Hogron qui était penché sur moi.
En mon absence de réaction, il m'a allongée sur le lit et a disparu quelques instants de mon champ de vision. Quand il est réapparu, son visage m'apparaissait un peu plus nettement, il brandissait un verre d'eau au-dessus de moi. Me rendant compte à quel point ma gorge était sèche, j'ai tendu ma main vers le verre mais le docteur l'a aussitôt éloigné. J'ai gémi, incapable de faire autre chose.

- Emma. A-t-il dit fermement. Il faut que tu coopères si tu veux avoir ce verre d'eau. Assis-toi.

Sa voix m'est parvenue distinctement et j'ai été d'abord consternée par la dureté de son ton qui, hier encore, paraissait chaleureux. J'avais l'impression que jamais je ne pourrais me redresser mais au prix d'un grand effort -et de nombreux craquements- je me suis mise en position assise. Il m'a alors ordonné d'avaler les deux comprimés violacés qu'il me tendait en même temps que l'eau. Je suis restée longtemps immobile, méfiante. Ça pourrait très bien être un moyen de donner la mort proprement. Après de longues secondes à admirer l'eau tournoyer et scintiller, la soif l'a finalement emporté et j'ai englouti les deux comprimés avant de boire une grande rasade d'eau qui a soulagé ma gorge meurtrie. Je me sentais mieux.
Une fois le verre vide, il me l'a pris brusquement des mains et m'a ordonné sèchement de me reposer avant de partir. Je me suis allongée, l'esprit en ébullition, incapable de faire ce qu'il m'a dit.

***

J'ai les yeux fermés. On pourrait croire que je dors mais je fais juste semblant. Ophélie est assise à mon chevet et attend patiemment que je daigne ouvrir les yeux. Ce que je ne ferai pas tant qu'elle sera là. Je sais que c'est elle puisque après qu'elle soit rentrée et qu'elle se soit assise, elle a pris ma main et m'a parlé pour me rassurer. Elle m'a affirmé que tout n'était pas noir, qu'il y avait aussi des aspects positifs dans cette vie, enfin bref, que des mensonges.
Je ne sais pas combien de temps je suis ici. Personne à part Ophélie ne s'est préoccupé de moi et a voulu savoir si j'étais toujours en vie. J'aurai pu, je ne sais pas, moi, dans un accès de désespoir, me tailler une artère avec le premier scalpel qui me serait tombé sous la main. J'ai beaucoup réfléchi, mon cerveau tournant à plein régime, malgré que je sois lasse et fatiguée. Impossible de dormir après de pareilles révélations. Ce qui me fait peur, c'est ce qui va se passer ensuite. Va-t-on me punir pour être partie du cours sans autorisation ? Ou parce que j'ai renvoyé mon petit-déjeuner sur le carrelage propre ? Rien n'est prévisible.
Ophélie fait preuve d'une patience incroyable et j'ai du mal à penser correctement surtout que je sens son regard brûler mon dos.

OraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant