- Emma, espèce d'incapable, tu vas répondre oui ou non ?!
Bien que légèrement étouffée et grésillante, la voix tranchante de Mr Feray me tire soudain de mon état second. Légèrement perdue, je scrute du regard la neige maculée de traînées rougeâtres en me rendant compte que ça fait quelques minutes que mon supérieur crie mon prénom dans un crachotement. Soudain, je le vois : le communicateur est presque entièrement enfoui sous la neige, seulement un de ses coins transperce le duvet blanc et contraste étonnamment avec sa couleur noire. D'une main tremblante, j'attrape la partie immergée du cube et l'arrache de la couche de neige. Aussitôt, le faible bourdonnement qui signifie que la communication est en cours me parvient subtilement. Serrant mes doigts sur l'objet pour les empêcher de trembloter davantage, tâchant d'ignorer les tâches de sang qui me coulent entre les doigts pour disparaître sous la manche de ma veste, je prends une grande inspiration avant de répondre :
- O-oui, M-Monsieur ?
Ma voix est rauque comme si j'avais sangloté pendant des heures et c'est d'ailleurs l'impression que j'ai. Mais un coup d'œil vers le soleil levant et la sensation de mes joues encore humides suffit à me contredire : il ne s'est pas écoulé plus de cinq minutes depuis que Mr Aymery est... Mort. À cette pensée, je ravale un gémissement en resserrant mon étreinte sur le communicateur pour éviter de le laisser à nouveau tomber. Malgré moi, mes yeux se tournent vers le corps sans vie du père d'Ophélie et une tristesse sourde m'emplit accompagnée par une culpabilité dévorante. J'ai tué le père adoptif de mon amie, son sang est sur mes mains. Par ma faute, elle va se retrouver seule... Je détourne le regard en me mordant violemment la lèvre pour ravaler les larmes qui menacent de m'inonder à nouveau.
- Emma !
Je sursaute.
- Euh, oui. Excusez-moi.
- Tu es désespérante, soupire Mr Feray sur un ton mi-agacé, mi-exaspéré et je n'y décèle aucun remord, comme si tuer quelqu'un d'une simple pression d'un bouton faisait partie de ses activités quotidiennes. Ce misérable vieil homme ne manquera à personne, reprend-il. Pas même à sa famille alors cesse de faire ton émotive et rentre dans cette fichue maison !Je manque de suffoquer d'indignation et ravale mes protestations. Si, il manquera à Ophélie et dès qu'elle verra le corps sans vie de son père enfoncé dans la neige rougeâtre, elle sera dévastée. Mais bien sûr, mon supérieur s'en fiche éperdument. Il a d'autres préoccupations plus importantes selon lui comme de m'ordonner d'entrer par effraction dans la demeure de l'homme qu'il vient de tuer. Avec une petite hésitation, je décide de lui demander :
- Pourquoi ?
Grossière erreur puisqu'il se met à rugir si fort que sa voix se fait désincarnée dans le haut-parleur :
- Tais-toi et fais ce que je te dis ! Rentre chez lui et dépêche-toi avant qu'un de ses voisins ne te surprenne à côté de sa lamentable carcasse.
Il ne sert à rien de discuter et avec un effort qui me fait grincer des dents, je me mets debout. Ignorant la protestation de mes muscles endoloris par le froid qui s'est insinué dans tout mon corps, je me presse à l'intérieur en évitant de baisser les yeux sur le cadavre du seul homme qui s'est montré bienveillant à mon égard ici. Il ne sera pas moins visible si je ne suis pas à ses côtés mais je me sens moins exposée lorsque je referme le battant avec un claquement sec. M'adossant au panneau de bois, je m'accorde quelques minutes de répit, grelottant de tous mes membres et dégoulinante de sang ou de neige fondue ou bien les deux. Le chagrin m'emplit toute entière et je me sens si sale à l'intérieur de moi-même qu'aucune douche, qu'aucune parole rassurante ne pourra laver mon âme du sang qui la souille. Avec un soupire qui ressemble davantage à un faible gémissement, je passe une main tremblante et maculée de tâches écarlates sur mon front pour repousser les mèches humides qui me tombent dans les yeux. Avec résignation, je porte le communicateur près de mes lèvres et, dissimulant les émotions qui m'envahissent, je dis :

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Ora
Science FictionCinq cents ans après la guerre mondiale la plus dévastatrice que notre Terre ait connue, se dresse une cité construite sur les cendres des villes décimées : Ora. Divisée en deux parties, inégalitaire, elle repose sur un gouvernement ferme et dictato...