•Chapitre 11•

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Un court silence étonné fuse dans la salle avant que n'éclate toutes les voix des invités qui se mettent à parler tous en même temps. Les réactions divergent : certains sont très heureux pour le couple, d'autres envisagent déjà un possible mariage arrangé avec leur enfant et les derniers grommellent dans leur coin, prédisant un avenir monstrueux à l'enfant à venir. Pour ma part, je n'arrive pas à penser correctement et à me faire une idée de cette annonce. La question est : le bébé est une bonne ou une mauvaise chose pour moi ? La réponse est simple : ce n'est pas une mauvaise chose mais une très très très mauvaise chose. Et même si je ne sais pas pourquoi, je le sens au creux de mon ventre.
Le service a repris. Maintenant que la nouvelle a été annoncée, certains espèrent pouvoir noyer leur surprise ou leur contrariété dans l'alcool ou tout simplement trinquer joyeusement. Dans tous les cas, je suis censée bouger pour apporter mes services à quiconque en ait besoin et je suis sûre qu'il n'en manque pas, des nobles qui se font plaisir à me voir courir dans tous les sens pour leur bon petit confort !
Pourtant, je ne bouge pas, toujours sidérée par cette nouvelle. Ce n'est qu'un enfant, qui viendra dans six mois mais ça m'inquiète. Mon cerveau tourne à plein régime, tachant d'analyser tout ce qui pourrait m'arriver de mal pendant ces six mois. Le problème, c'est que je ne connais rien, ou presque, de la vie ici et que ce pressentiment qui me prend aux tripes n'est peut-être que le fruit d'une peur trop intense.
C'est là, qu'une douleur inouïe naît dans ma cheville pour cheminer tranquillement dans toute ma jambe. Je suis rudement ramenée à la réalité, cette réalité où je dois me plier à toutes les exigences, la tête baissée.

- Tu es sourde ou quoi ? Me hurle une voix pâteuse dans l'oreille.

Une voix d'où suinte également une importante arrogance. Je lève la tête vers le visage qui s'est collé à moi et qui affiche un improbable rictus, à mi-chemin entre un sourire et une grimace. Le jeune homme qui est planté face à moi aurait pu être beau comme un dieu s'il n'était pas aussi éméché, face à moi, en équilibre instable. Il n'a l'air guère de se soucier de sa tignasse ébouriffée, dont les épis châtains se dressent dans tous les sens. Ses yeux noisettes sont vitreux, sa bouche fine pincée et ses pommettes saillantes rehaussées d'une teinte rosée, signifiant qu'il a bu le verre de trop depuis longtemps déjà. Il vacille sur ses jambes et finit par se laisser tomber sur un fauteuil pile derrière lui.
Je regarde cet homme, éberluée, qui a failli me briser un tympan. Soudain, ça fait tilt. Il m'a demandé quelque chose mais plongée dans mes pensées, je suis restée campée sur mes jambes, donnant l'impression de vouloir désobéir. Je peux même entendre sa voix me demander quelque chose à boire avant de me planter le bout de sa chaussure sur ma cheville.

- À... À boire ? Répété-je en retard et en balbutiant.

Il pose son regard vitreux sur moi, comme si j'étais la dernière des idiotes. Évidemment que je suis la dernière des idiotes !

- Whisky. Articule-t-il lentement de son souffle alcoolisé.

Je me retourne rapidement pour échapper à ses yeux de faucon dont la lueur moqueuse ne m'a pas échappée. Je verse l'alcool dans un verre et me hâte de revenir pour le lui tendre, posé au centre de mon plateau. J'espère ainsi me débarrasser rapidement de lui et de son sourire carnassier.
Il me regarde longuement avant d'avancer doucement son bras pour attraper le verre. À peine ses doigts se sont-ils refermés dessus qu'il me jette son contenu à la figure, sans que j'aie le temps de m'enfuir. Je pousse un petit cri aigu en même temps qu'il éclate d'un rire rauque. Je sens le whisky couler sur mon visage, mes cheveux et mes vêtements ainsi que son odeur m'agresser les narines.
Tremblante de surprise et de rage, je retiens à grand-peine un flot d'injures en me mordant la langue. Je ferme les yeux pour inspirer longuement et faire descendre le feu qui est monté en moi. Malgré mes efforts, je ne peux dissimuler la colère sur mon visage ce qui fait redoubler l'hilarité du jeune homme ivre. Il finit par m'attraper par le poignet et m'attirer à lui comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.

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