•Chapitre 8•

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Les jours suivants, c'était le brouillard. J'étais là, je marchais, j'écoutais, je vivais et même parfois, je parlais. Mais au fond de moi, persistait un étrange sentiment dérangeant. J'avais l'impression de ressentir ma conscience qui se battait sans relâche pour resurgir mais qui finissait toujours par être engloutie dans les ténèbres qui entouraient mon esprit.
Je marchais dans la brume. Les silhouettes qui se tenaient dans mon champ de vision n'étaient que des formes indistinctes, parfois nimbées de lueur et je n'étais pas toujours sûre qu'elles étaient réelles.
Pourtant, tout l'était. Chaque chose pénétrait mon esprit par un chemin différent que d'habitude, je savais tout sans tout savoir. Je vivais tout sans vraiment vivre.
Malgré mon état, mon cerveau a stocké un bon nombre d'informations. Dans des moments de presque lucidité, je fouillais cette partie de mon esprit où les mots, les formes et les couleurs se mélangeaient, s'assemblaient et se disloquaient mais très vite, je me lassais et replongeais dans mon état d'hébétement.
Le temps était infiniment long mais en même temps, il semblait ne pas exister du tout. J'étais comme éloignée de tout, hors d'atteinte du présent et des émotions. Cette sensation me procurait un certain bien-être tout en faisant naître un sentiment de malaise persistant dont je ne comprenais pas la présence au creux de mon ventre.
Le lundi de la deuxième semaine, la fille que mon esprit qualifie tant bien que mal comme étant Ophélie est partie. Je sais où elle est partie mais en même temps, je ne sais pas. Quand cette information m'est parvenue, cela ne m'a fait ni chaud ni froid, elle a pris le même chemin que les autres pour se plonger dans le flot emmêlé que forment toutes ces informations qui se sont accumulées.
Je ne comprenais plus ma vie. Je ne savais plus si je vivais. Mes pensées étaient incompréhensibles, fusaient dans mon cerveau à toute vitesse, avant même que je ne réagisse. Je me sentais perdue et me demandais sans cesse qui j'étais car oui, j'en oubliais mon identité...

***

Gling gling gling. Ce petit tintement à la fois familier et étranger résonne dans la pièce. Aussitôt, je sens des mouvements rapides bouger de tous les côtés. Mes yeux sont toujours fermés et je suis toujours couchée à plat ventre, mon drap étendu en travers de mon corps. Pourtant, je me sens terriblement mal. Une multitude d'émotions contradictoires et en tout genre me submergent et m'engloutissent. J'ai l'impression de me noyer. Cette impression me pousse à me débattre et à essayer de crier mais seulement des gargouillis sortent des tréfonds de ma gorge. Pour combler le tout, je ne trouve plus ma respiration. Soit parce que je me noie vraiment, soit parce que j'ai tellement paniqué que ça a bloqué l'air dans mes poumons.
Des mains brusques me retournent de sorte à ce que mon dos repose sur le matelas et me donnent une paire de claques que je ne pense pas avoir méritées. Ma respiration me revient subitement et j'inspire une grande bouffée d'air. Une silhouette se penche au-dessus de moi et j'écarquille les yeux. Des cheveux coupés au carré, des petits yeux lançant des éclairs, une fine bouche pincée et des vêtements hideux, ça ne peut être que Mme Hoya.

- Bon retour parmi nous ! Dit-elle de sa voix sèche et ces paroles sont comme des balles qui me transpercent.

J'avale ma salive avant de me redresser avec difficulté. Six autres paire d'yeux me dévisagent avec curiosité. Toutes les filles sont là, bien droites devant la porte, leurs tenues sous les bras.
Sans qu'on ait besoin de me dire quoi faire, je me lève, chancelante et prends mes propres affaires pour me diriger vers la sortie.
Pendant le trajet jusqu'aux douches, je me sens étrangement vide et très mal. J'ai l'impression que ma tête a subi de nombreux coups de marteaux et des sentiments inexpliqués montent en moi sans que je sache pourquoi. Pourtant rien n'a changé. Les filles discutent entre elles devant moi, quoique avec beaucoup moins d'entrain que dans mon souvenir, et je suis en retrait, silencieuse comme une ombre.
La salle de bains dans laquelle nous rentrons n'est pas celle que nous avons utilisée lors de notre arrivée. C'est celle que partagent toutes les filles réunies qui habitent à l'institut. Je devrais demander pourquoi nous sommes là mais quelque chose me dit que c'est tout à fait normal. Nous faisons donc la queue devant l'une des quinze cabines qui occupent presque entièrement le grand espace. Je sens des regards inquisiteurs braqués sur moi mais qui semblent regarder ailleurs dès que je me retourne. Je ne sais pas pourquoi on me porte une telle attention.
Une fille qui s'est placée derrière moi et avec des cheveux roux en bataille m'adresse un sourire quand je la regarde. Elle me jauge des pieds à la tête puis me demande doucement :

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