•Épilogue•

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Le silence m'entoure, épais comme le brouillard qui enveloppe mon esprit. Le contentement qui m'avait envahie quelques secondes plus tôt a disparu comme les étoiles qui tirent leur révérence aux premières lueurs du jour. Je me sens vide. Comment devrait-on se sentir après avoir tué quelqu'un ? Je n'éprouve aucune tristesse, aucun remords pour cet homme qui a fait tant de mal autour de lui. Il a mérité de mourir.
Mes doigts sont toujours crispés sur le manche du couteau encore enfoncé dans sa chair qui refroidit. Le sang continue de ruisseler autour de mes doigts et de s'écouler le long de son corps qui se rigidifie pour terminer sa trajectoire sur le mien. Le poids du cadavre me cloue sur le lit dont les draps de soie blanche se teintent progressivement en rouge. Je pousse le corps sur le côté. Ses yeux écarquillés, vides comme le fond d'un puits, sont figés dans leurs orbites. Sa peau livide ne forme plus aucun contraste avec les mèches de cheveux platines qui recouvrent mollement son front. Ses lèvres qui bleuissent sont crispées sur les dernières paroles qu'il a tenté de prononcer sans succès. Son corps nu est vulnérable au milieu des couvertures souillées. Deux entailles suintantes se côtoient sur son torse ensanglanté. La mort ne lui sied guère.
J'arrache définitivement mon arme de sa poitrine. Je lui envoie un dernier regard méprisant avant de me mettre debout. Une douleur irradie entre mes cuisses. Je baisse les yeux sur mon corps dévêtu et grimace en voyant les filets de mon propre sang qui continuent de descendre le long de mes jambes pour s'échouer sur mes chaussettes et mes chaussures que mes pieds ont gardé. Le reste de mon corps est, pour sa part, recouvert du sang de ma victime. Ça ne m'effraie pas.
Serrant toujours le manche de mon couteau comme si c'était la seule chose qui pouvait me raccrocher à la réalité, je fais quelques pas en ignorant la douleur qui pulse non seulement entre mes jambes mais aussi de mes précédentes blessures. Je traverse la chambre en quête des restes de mes vêtements. Quand je me prends enfin le pied dans l'un des morceaux de ma robe, je me penche pour le ramasser afin de fouiller dans les poches. Ma main gauche se referme sur un objet cubique minuscule. Quand elle rejaillit de l'étoffe qui chute ensuite vers le sol, je peux percevoir les contours noirs de l'objet se dessiner dans la pénombre. Il s'agit d'un mini-communicateur.
Lorsque je m'apprête à quitter la chambre maudite, tenant à la fois mon couteau d'une main et le mini-communicateur au creux de l'autre, mon regard tombe à nouveau sur ma nudité. Ma robe étant ruinée, je retourne auprès du lit, boitant légèrement mais sans laisser mes yeux dériver vers ce qui fait désormais partie de mon ancienne vie. J'attrape le bord d'une couverture puis tire. J'enroule autour de moi l'étoffe de soie teintée de sang puis je quitte enfin la chambre à l'air vicié par l'odeur de la mort.
Dans le couloir, la lumière, comme annonciatrice de mon futur, contraste avec l'obscurité de la pièce et de mon passé que je laisse derrière moi. Serrant le mini-communicateur dans ma paume, je presse le seul bouton apparent avant de porter l'objet à mes lèvres en m'efforçant de bloquer les souvenirs que ce geste ravive.

- Feray a été abattu, annoncé-je d'un ton froid dans le micro du cube. L'attaque peut commencer.
- Bien reçu, me répond la voix neutre et grésillante de Paul.

À peine quelques secondes s'écoulent avant qu'une clameur jaillisse du rez-de-chaussée. Des coups sourds retentissent. La demeure tressaille. Des cris, de guerre et de terreur, s'élèvent pour se mélanger et former une cacophonie nouvelle. Le manoir est assiégé. C'est la fin des Feray. Et ce sera bientôt celle du gouvernement tout entier.

À suivre...

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