•Chapitre 6•

304 40 16
                                    

Alors que j'ai l'impression de n'avoir dormi que dix minutes, je suis réveillée par des cloches. Oui, des cloches. Un son qui, dans d'autres circonstances, aurait pu être cristallin et doux à entendre mais qui maintenant, me vrille les tympans. Gling gling gling. Les yeux collés par le sommeil, je daigne lever la tête de mon coussin dans lequel j'avais enfoui ma tête mais ne reconnais pas la pièce dans laquelle je me suis endormie. Momentanément perdue, je tourne la tête dans tous les sens, la panique affluant et le son des cloches ne cessant de retentir dans la pièce, rebondissant contre les murs pour venir me percuter en pleine figure. Des éclats de voix me parviennent à travers le tumulte et je laisse ma tête retomber sur l'oreiller pour me mettre les idées au clair. Où suis-je ?Quand j'ouvre enfin les paupières, ma vision s'éclaircit en même temps que je sens la lumière se faire dans mon esprit. Je me redresse. L'institut des jeunes servantes. Ma courte et lourde nuit de sommeil a réussi à me faire oublier l'enfer dans lequel j'avais pénétré. Maintenant, il va falloir affronter mon destin avec courage. Et du courage, je n'en ai pas.
Autour de moi, les filles s'activent. Elles sautent de leur lit, fouillent dans leurs placards et se dirigent vers la porte d'où provient cet étrange tintement qui ne ressemble pas tout à fait au son des cloches. Derrière le ballet de cheveux en bataille et des robes de nuit froissées, je vois une femme d'âge mûr secouer inlassablement une petite clochette en argent. Ses fins cheveux poivre-et-sel sont coupés au carré, ses petits yeux gris sont tellement plissés qu'on dirait deux petites fentes par lesquelles fusent des éclairs et sa fine bouche est tellement pincée qu'on a l'impression qu'elle est inexistante. Ne comprenant toujours pas la situation, je regarde avec de grands yeux écarquillés son veston orangé qui surmonte une chemise en flanelle rose fushia et son tailleur vert à carreaux qui lui arrive au-dessus des genoux. Je ne m'y connais pas en vêtements mais je peux dire que c'est hideux.
Soudain, je me rends compte que quelque chose cloche. Je fronce les sourcils avant de revenir sur le visage de la femme hideuse -peu importe son nom, pour moi, elle sera toujours la femme hideuse- dont le regard est rivé vers moi. Le tintement s'est arrêté et sa main est suspendue dans les airs, sa petite clochette tenue entre son pouce et son index. Je tourne mon regard vers les autres filles : elles me dévisagent toutes, l'air indigné.
Là, je comprends que je fais une terrible faute : alors qu'elles sont toutes prêtes à partir, vêtements sous le bras, je suis encore dans mon lit, les jambes empêtrées dans le drap. Je suis plus fatiguée que je ne le pensais. Précipitamment, je mets les deux pieds à terre, ouvre à la volée mon placard qui grince horriblement, empoigne une robe, des sous-vêtements, des bas et une paire de chaussures et trottine vers la porte. Je me plante à côté des autres filles et je sais que je ne paie pas de mine.
Le visage parcheminé de la femme hideuse se creuse un peu plus quand elle me fusille du regard et un frisson remonte de ma colonne vertébrale pour me picoter la nuque. Je sens que je vais bientôt avoir des ennuis. Sans un mot, elle quitte la pièce et nous la suivons en silence, tels des toutous suivant leur vieille maîtresse.
Pendant que nous traversons des couloirs tous identiques, des bruits de pas, des rires et des passages précipités se font entendre. Ce doit sûrement être les « servantes accomplies » qui se préparent pour leur journée. Si elles rient comme ça c'est que ça ne doit pas être si horrible que ça d'être ici, en fin de compte. Bientôt, nous nous éloignons de tout ce grabuge pour continuer le chemin dans un silence pesant et angoissant.
Quelques virages plus tard, nous nous arrêtons devant une immense porte en bois à double battants avec des heurtoirs en or en guise de poignet. Pas le temps de s'émerveiller sur cet or, la femme hideuse les a empoignés pour pousser les battants qui s'ouvrent en grand sur une grande pièce brillamment éclairée. D'un pas incertain, nous entrons, subjuguées. Les murs sont recouverts d'une dizaine de miroirs muraux qui surmontent des tables en marbre collées aux murs. Sur ces tables, sont disposés toutes sortes d'objets que je n'aurai jamais cru voir un jour. Des chaises rembourrées sont tirées devant elles et à côté, attendent des hommes habillés de blanc, tous identiques avec leurs cheveux retenus par des pinces et qui leur donne une allure ridicule. La femme hideuse se dirige vers le centre de la pièce, ses talons claquant sur le dallage noir et blanc d'une propreté impeccable. Son allure autoritaire est si menaçante que je tressaille légèrement.

OraOù les histoires vivent. Découvrez maintenant