•Chapitre 12•

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Quand les premières nobles se lèvent pour s'en aller, je m'efforce de faire de même avec le peu de dignité qu'il me reste afin de m'incliner respectueusement à leur passage. Si je montre encore un seul signe de désobéissance, je ne sais pas ce que Mme Feray me ferait subir. Je redoute déjà une petit démonstration de supériorité à notre retour, il ne faut pas que je lui donne un autre prétexte de se défouler sur moi. Les jambes flageolantes, le corps secoué de frissons incontrôlables, je garde les yeux baissés tandis que les riches dames défilent devant moi sans oublier de lancer des remarques qui déclenchent d'horribles rires aigus et insupportables.
Quand Mme Feray se décide enfin de s'éclipser à son tour, je ne peux dire si c'est un soulagement ou non. Je veux juste prendre une douche glacée pour apaiser ma peau brûlante et dissiper cette forte odeur de café dont je suis imprégnée. L'eau ne parviendra pas cependant à calmer les picotements douloureux que je ressens sur quelques parcelles de mon corps.
Nous retournons dans la limousine dans un silence lourd et inquiétant après que ma supérieure ait fait une bise joyeuse et bruyante à son hôte. Cette fois, je prends soin de m'asseoir au bout de la banquette ce qui n'empêche pas Mme Feray de me fixer d'un regard insistant. Pendant près de la moitié du trajet, je me retiens de passer mes mains sur mon visage à vif et tente de regarder dans toutes les directions sauf dans la sienne. Mais malheureusement, elle a la ferme intention de me dire quelque chose, je le sens bien.

- Tu as pris cher, Emma. Finit-elle par lancer d'un ton monotone, comme si ça ne comptait pas.

Bien sûr que ça ne compte pas pour elle. Je ne suis qu'une domestique parmi tant d'autres qui mérite le châtiment qu'on lui fait subir. Je ne réponds pas mais prends soin de rencontrer son regard pendant une demi-seconde tout en hochant brièvement la tête.

- Ces brûlures que tu arbores au visage et probablement sur le reste du corps suffisent comme punition à ton insolence envers ce jeune homme. Dans ton intérêt, que je n'apprenne ni ne constate que tu recommences.

Son regard menaçant me défie de remettre en cause sa parole. Elle sait bien que je ne m'y risquerais pas après ce qu'il vient de se passer, aussi, se remet-elle à faire comme si je n'existais pas.
Une désagréable boule au ventre m'accompagne pendant le reste du trajet et lorsque nous passons les grilles de la propriété, je dois me retenir de décamper à toute vitesse pour rejoindre l'illusion de sécurité qu'offre les sous-sol. Je marche derrière ma supérieure, tête baissée, afin de cacher du mieux possible ce qu'il m'est arrivé aux domestiques qui sont encore de service.
Lorsque nous rentrons et qu'une domestique qui nous attendait patiemment prend en charge Mme Feray, je m'enfuis à toute vitesse dans les sous-sol en dévalant les premiers escaliers de service qui se présentent. Je traverse les couloirs en courant, sans me préoccuper de me perdre puisque de toute façon, j'emprunte le bon chemin et parviens à la salle de repos rapidement. Cette dernière est à moitié remplie de domestiques éreintées et tandis que je la traverse au pas de course, Lina qui est affalée sur un fauteuil, m'interpelle. Je ne ralentis pas et regagne notre chambre, essoufflée. Elle va me rejoindre dans quelques secondes, sûrement intriguée par mon comportement et inquiète aussi.
Appuyée contre le mur, dans une obscurité totale, je me concentre sur mon souffle saccadé. Lina fait une entrée fracassante au moment où ma respiration redevenait à peu près régulière. Tandis que la porte claque contre le mur, elle tire vivement sur le cordon de l'ampoule et balaie la pièce du regard jusqu'à qu'elle me trouve, de l'autre côté de la porte, le côté qui ne s'est pas pris celle-ci. En me dévisageant, sa bouche s'arrondit et ses yeux s'écarquillent lui donnant l'air d'une petite fille apeurée. Presque aussitôt, elle claque de nouveau la porte en faisant trembler ses gonds avant de m'attraper un bras et me tirer vers son lit pour m'y faire asseoir.

- Mon Dieu, Emma, que diable t'est-il arrivé ? s'écrie-t-elle d'une voix étranglée.

J'esquisse un vague geste de la main.

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