Le vent siffle à mes oreilles. Des branches basses fouettent mon visage endolori. Mes jambes peinent à me faire avancer. Mais je dois continuer de courir. Même si j'ai mal, que je vois trouble et que je viens d'assister à une séance de torture qui laissera des séquelles visibles à vie. Il faut que je vérifie si les chiots vont bien et si ma supérieure a tenu sa parole qu'elle ne les tuerait pas. Mais les nobles n'ont aucune parole, je devrais le savoir. Ce qui n'empêche pas la volonté de me faire avancer.
À l'orée de la forêt, le jardin plongé dans l'obscurité nocturne semble paisible. Seuls le murmure du vent et le clapotis de la fontaine centrale viennent troubler le silence de la nuit. Même le manoir semble tranquille, sa silhouette noire se découpant nettement du ciel bleu sombre et ses rayons de lumière provenant de l'intérieur se dessinant sur l'herbe ravagée par le passage de ma tondeuse à gazon. À ma droite, la niche se détache aussi de l'obscurité. Dans un élan de désespoir, mes pieds me transportent vers son seuil, mes mains poussent sa porte puis appuient sur son interrupteur et mes yeux balaient son contenu. Et mon cœur dégringole à mes pieds.
Cinq chiens lèvent une tête molle vers ma direction, clignant indolemment des yeux sûrement agressés par la lumière vive de l'ampoule qui pend tristement au plafond. La femelle occupe le même endroit qu'il y a une heure trente mais en lieu et place de ses chiots, se répand une flaque de sang qui s'infiltre dans les brins de paille. La tête me tourne et ma vision s'obscurcit. J'ai envie de crier mais mes cordes vocales ravagées ne sont plus capables de produire que des sons faibles. Une tristesse profonde, un désespoir total s'abattent sur moi et mes yeux secs s'emplissent enfin de larmes. Mes jambes me lâchent et je m'écroule sur le seuil de la niche, en proie à une souffrance physique et mentale insoutenables.- Emma ?
La voix de Becka crève le silence. Avec un effort, je tourne mon visage vers elle et son ventre presque aussi rond que celui de notre supérieure et son mouvement de recul, ses yeux qui s'agrandissent d'effroi, me rappellent la cause de la douleur vive qui m'enflamme toute entière.
- Emma... répète-t-elle d'un ton brisé. Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?
Elle s'agenouille pour prendre mon menton dans sa main, qui se teinte instantanément de sang.
- Il faut te soigner. Viens.
Elle tente de me remettre sur mes jambes mais je refuse de bouger, le regard obstinément tourné vers le flot écarlate qui s'étale à l'intérieur de la cabane.
- Elle les a tués, murmuré-je. Elle les a tués malgré tout...
- Allez Emma, insiste Becka en tirant doucement sur mon bras. Tes plaies vont s'infecter...
- Oh, ça m'étonnerait... rétorqué-je distraitement, l'attention toujours accaparée par ce qui reste des chiots.Becka soupire profondément et se penche vers moi, de la manière qu'on se penche pour révéler un secret que personne d'autre ne doit entendre.
- Écoute Emma, les chiots ne sont pas morts. (Je sursaute.) David m'a prévenue de la situation juste avant d'aller dans le bureau de Mr Feray. Lorsque ce dernier a suggéré de mettre les chiots à mort, David s'est proposé pour le faire. Grâce au CDC, nous avons pu récupérer un chien qui ressemblait à la mère des chiots et nous avons évacué celle-ci avec ses petits. Nous avons vidé une poche de sang sur la paille pour faire croire à leur mort, Mme Feray l'a vu quand elle est revenue de la forêt pour les tuer elle-même. Elle a paru satisfaite et n'a même pas remarqué que c'est un mâle qui se retrouve à la place de sa femelle. Comme c'est son mari qui a ordonné leur mort, elle n'a aucune raison de soupçonner quiconque d'avoir sauvé les chiots.
Le soulagement m'envahit, se pose sur moi comme une couverture duveteuse. Incapable de traduire mes sentiments en mots, j'étreins brièvement Becka mais la douleur me rappelle à l'ordre. Alors j'accepte de laisser dernière moi la niche et ses cinq occupants qui se sont paisiblement remis à ronfler.
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Ora
خيال علميCinq cents ans après la guerre mondiale la plus dévastatrice que notre Terre ait connue, se dresse une cité construite sur les cendres des villes décimées : Ora. Divisée en deux parties, inégalitaire, elle repose sur un gouvernement ferme et dictato...