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Je suis fatiguée. J'aimerais dormir, même si le canapé n'est pas très confortable, mais je ne peux pas. Je ne sais pas encore si Annie va chercher à s'échapper ou non. Je dois absolument la surveiller...elle ne doit pas se faire tuer bêtement. J'entends le frottement d'une main contre un meuble, pour l'épousseter sûrement, puis le bruit d'une chaise que l'on tire. Le silence est apaisant. Étonnamment, je me sens en sécurité dans cette maison. J'ai l'impression d'être chez moi, à Shiganshina. Mes paupières se ferment doucement.

Les sons réguliers de la machine à coudre de mon père qui résonnent à l'étage. Maman qui fredonne en cuisinant. Louis et ses amis qui font le bazar dans la chambre. La machine s'arrête. Papa va s'énerver en disant qu'ils font trop de bruit. On va entendre la porte claquer et avec Maman, nous nous lancerons un regard amusé. Puis, nous verrons les garçons descendre en pouffant, nous faire un signe de main et partir dehors. Je souris, j'aimerais beaucoup pouvoir avoir des amis moi aussi. Doucement, je ferme mon livre et le pose sur la table. Ma mère me demande s'il était bien. Je m'approche de la cuisine et commence à éplucher les fruits dont elle a besoin pour son gâteau tout en lui expliquant passionnément de quoi parlait l'œuvre. Les minutes passent, Maman enfourne son nouveau test de recette, une odeur de miel et de pommes embaume la maison.

Des bruits de pas dans l'escalier : la gourmandise de Papa a prit le dessus sur son ouvrage. Il me prend dans ses bras et me fait, encore une fois, la remarque que je serais bientôt trop grande pour être portée. Je passe mes mains d'enfants dans ses beaux cheveux bruns pour m'accrocher en riant : il pourra toujours me porter, mon Papa est le plus fort. Maman arrive et enlace amoureusement son compagnon. La vie suit son cours et notre famille va bien. Tout le monde est heureux.

« Emily, pourquoi fais-tu cela ? »

La question d'Annie résonne dans la pièce silencieuse. Retour brusque à la réalité. Ma famille est morte et je suis loin d'être une personne heureuse. J'ouvre à nouveau les yeux et regarde le plafond en silence. C'était prévisible qu'elle pose cette question, mais je ne pensais pas si tôt. Je soupire et ramène mes bras sur mon visage. Je n'ai pas besoin de lui répondre. J'entends des pas se rapprocher du canapé puis sens une présence à côté de moi. Je tourne légèrement la tête et distingue à travers mes cheveux ses yeux bleus qui me fixent avec une lueur déterminée incroyable :

« Réponds-moi ! »

Je reste silencieuse. Je sais qu'elle a peur, ça se sent, mais son caractère fait qu'elle enfouit ses sentiments au plus profond d'elle. Mais aucun humain ne peut complètement enfouir ses sentiments ; moi aussi je croyais que j'allais pouvoir vaincre leur puissance mais j'ai fini par craquer. J'ai fini par hurler tout ce que j'avais sur le cœur avant de m'écrouler sur l'épaule du caporal-chef, et s'il n'avait pas été là pour me faire réagir, j'aurais fini par être rongée par ces émotions contenues au fond de moi. Annie n'aura pas la chance d'avoir Livaï pour la faire craquer. Elle va devenir folle toute seule, sans que j'ai besoin de faire quoi que ce soit à part lui faire espérer qu'elle peut compter sur quelqu'un.

« Sais-tu au moins ce que j'ai fait, Emily Underhill ? Sais-tu qui tu as libéré du diamant ? Je suis un monstre, Emily, un monstre, tu m'entends ! »

Tu es un monstre, oui. Moi aussi j'en suis un. Tu es une femme-Titan qui a assassiné des dizaines d'innocents. Je suis une fille aux yeux sans couleur qui a assassiné des innocents. Quand on y réfléchit, nous ne sommes pas très différentes. Deux monstres qui préfèrent garder tout au fond d'elles au lieu de demander de l'aide, quitte à devenir folles. Seulement, moi au moins je ne suis pas complètement perdue. Je sens qu'elle m'agrippe les bras, je la vois entièrement maintenant : son visage est en colère mais ses yeux terrifiés. Elle attend une réponse. Je murmure :

Emily UnderhillOù les histoires vivent. Découvrez maintenant