[27]

365 33 12
                                    

Sur le sol jonché d'éclats de verre, deux énormes bottes noires me font face. Je lève les yeux vers l'intrus et relâche mes muscles quand je vois le visage de celui-ci, gardant quand même mes couteaux en main. Juste au cas où. Comme si rien ne s'était passé et avec un ton presque accueillant, je lui dis :

« Ackerman. »

Ses lèvres forment un sourire narquois qui ne me plait pas. Il enlève son chapeau et mime une révérence avant de me lancer :

« Tu les as bien amochés les deux dehors. Tu es stupide au point de ne pas planquer les cadavres, l'enfant ? »

Je m'apprête à répliquer mais il continue sa tirade en s'approchant dangereusement de moi :

« Je veux bien croire que tu ai du mal à accepter l'assassinat de ton frère et que tu veuilles tuer cette "Annie". C'est excellent que ta colère te permette d'assassiner avec autant de sang-froid des gens sans éprouver de remords. Mais putain, si cette colère te fait perdre toutes tes capacités stratégiques et intellectuelles à quoi tu vas servir, hein ?! »

Il m'empoigne violemment le bras gauche et serre la partie fragile avec force. Je ne peux retenir le hurlement que me provoque ce contact et essaie de me dégager de son emprise, mais Kenny me cloue au sol. J'ai l'impression que mon bras est brisé en morceaux. Le souffle saccadé à cause de la douleur, les larmes aux yeux de frustration et de la rage, je ne tente pas de répliquer. Il est trop fort. Et mes pensées sont rivées sur autre chose. Perdre mes capacités stratégiques. Ne servir à rien. Maintenant que ces mots sortent d'une bouche extérieure je commence à me demander si la petite voix au fond de moi n'avait pas raison. Les doutes m'envahissent à nouveau. Je suis dans mon état normal. Je crois. Non, je suis perdue. Complètement perdue. Je suis obsédée par cette phrase : trouver Annie. La tuer. Une personne normale ressentirait-elle ça après avoir perdu un proche ?

Je sens la tête me tourner. Annie a non seulement tué mes amis mais elle est en train de me faire devenir folle.

« Bien, si je me fie à ta tête tu as fini par comprendre que tu devais retrouver une attitude normale. »

Je lève un regard assassin vers lui pendant qu'il me relâche, me permettant de me relever non sans tituber. Les jambes tremblantes, je m'assois sur le lit.

La réflexion de Kenny est juste. Tout à fait juste. Je ne dois pas tuer Annie comme j'avais prévu de la faire.

« Debout. On va dehors. Tu n'es encore qu'une enfant, tu dois apprendre. J'ai déjà formé le gamin, tu as de la chance que je te prenne à ton tour sous mon "aile protectrice". J'aurais fais au moins deux bonnes actions dans ma vie. Un jour, peut-être que tu dépasseras Livaï. La deuxième de mes élèves surpassant le premier, ce serait un instant mémorable. »

Kenny ricane amèrement, ouvre la porte et sort. Je ne peux retenir un hoquet de douleur en repensant à mon ancien mentor et à mes amis. Je ne pourrais plus les regarder en face après ce que j'ai fait, mais cela en vaut la peine. Je me lève, récupère mon pull et me dirige à mon tour vers l'extérieur. Je ne dois pas tuer Annie. La tuer serait bien trop gentil par rapport à ce qu'elle a fait.

Elle doit souffrir. Souffrir et se sentir abandonnée. Comme toutes les personnes qui ont perdu des proches à cause d'elle. Je me suis laissée submerger par mes émotions et ai voulu la tuer, comme le ferai un vulgaire animal.

J'entends le claquement de la porte qui se ferme derrière moi et vois Kenny partir dans la rue déserte. L'air froid me fait frissonner. Je range dans leurs fourreaux les deux armes et le coeur serré, réponds à sa remarque avec un calme que je n'avais pas ressenti depuis des jours :

« Jamais je n'arriverais à surpasser Livaï. »

˜˜˜

Un verre d'eau à la main, j'observe Kenny qui aiguise son couteau méticuleusement. Après quelques secondes, je lui demande :

Emily UnderhillOù les histoires vivent. Découvrez maintenant