[31 - Bas-fonds]

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Le bruit de nos pas résonne dans le silence de ce qui pourrait être considéré comme la nuit dans la ville souterraine. Annie, quelques mètres devant moi, court sur le sentier caillouteux comme si sa vie était en jeu. Je suis tendue, posant le pied sur le sol à chaque pas avec souplesse pour ne pas créer de brusque coup. Cette zone est, même dans les Bas-fonds où il n'y a pas de règles, considérée comme interdite d'accès : la roche y est friable. Si nous provoquons un éboulement, ou ne serais-ce une simple fissure, les ondes provoquées par un second choc suffiraient à l'élargir jusqu'au pilier de roche qui soutient le plafond de la ville souterraine, faisant tomber les immenses stalactites sur les bâtiments et habitants. Une véritable catastrophe.

L'équipement tridimensionnel accroché à ma taille bouge à chacun de mes pas, faisant un bruit de mécanique. Je jette un coup d'œil derrière moi et ralentis la cadence quelques secondes : nous surplombons la ville maintenant. Les bâtiments sont étrangement lumineux, contrastant avec la falaise dans l'ombre que nous sommes en train d'escalader. Je tourne les yeux et continue ma route en direction de la fine fente noire dissimulée au creux de la roche. La faille qui permet d'accéder au passage entre les murs. Plus que quelques mètres et nous y sommes. Je vois Annie accélérer. Elle a une force physique assez impressionnante pour sa carrure. Elle est plus petite que moi mais beaucoup plus forte. Si un jour on en venait à se battre sérieusement en tant qu'ennemies, je sais que je ne survivrais pas.

Je déglutis difficilement en m'arrêtant devant la faille. Elle doit faire trois mètres de hauteur environ et est très peu large, moins d'un mètre je dirais. Nous allons être obligées de quitter nos équipements pour passer. Je tourne les yeux vers Annie qui a l'air d'avoir le même état d'âme que moi devant la fissure. Autour de nous, l'air est humide et lourd, contrastant avec la fraîcheur venant de la fissure. Annie quitte ses porte-lames et s'engage dans la faille, disparaissant dans l'obscurité. Quelques secondes plus tard, je la vois récupérer ses affaires et me faire un signe d'entrer. Non sans impatience, je quitte mon équipement et m'engage à mon tour dans la fissure. L'espace est entièrement noir, seule la lueur de la ville permet de voir qu'il est extrêmement étroit. Je récupère la 3DM et commence à avancer à la suite d'Annie qui, téméraire, est partie devant, hors de mon champ de vision.

Je ne peux m'empêcher d'être agacée, je n'aime pas la perdre de vue. Elle est peut-être à l'heure actuelle ce qu'on pourrait définir par un « compagnon », mais elle reste le Titan Féminin et Annie Leonhart : imprévisible et incontrôlable. J'avance prudemment, mes yeux s'habituant petit à petit à l'obscurité. Je ne distingue que de légères ombres et trébuche plusieurs fois sur des roches au sol. Jamais je n'ai vu d'endroit si sombre, c'est presque irréel. On croirait être aveugle. J'entends seulement les bruits de nos pas qui résonnent et le frottement de mon équipement contre mon ventre, étant obligée de le tenir devant moi pour pouvoir passer. Je continue pendant un long moment, plusieurs minutes peut-être, dans le noir total, ne sachant où Annie est, privée de toute lumière. Je respire pour rester calme et ne pas perdre mon sang-froid. Ce n'est qu'une grotte. Même si je ne vois rien il y aura quoi qu'il arrive une sortie. Je ne dois pas avoir peur, même si je suis seule.

Une lueur plusieurs mètres au loin attire mon regard. Je sens le soulagement m'envahir : il y a des espaces éclairés dans le passage. J'échappe un soupir : nous n'aurons pas à vivre entièrement dans le noir tout le temps. Accélérant le pas, j'arrive vers la lumière qui est étrangement...bleutée ? La faille s'ouvre sur une immense grotte qui s'étend sur sûrement plusieurs kilomètres au loin. Des milliers de petites étoiles bleutées éclairent l'espace des murs au plafond d'une lueur discrète mais présente. Je désescalade la roche pour atteindre le sol et commence à avancer, émerveillée par cet endroit. Le son d'eau coulant sur ma droite attire mon attention. Je me dirige vers celui-ci et remarque un minuscule ruisseau qui traverse le sol, ayant prit place entre deux roches. L'eau a poli les bords créant une véritable cavité lisse où coule le liquide incroyablement cristallin. Il doit y avoir une source souterraine non loin d'ici. Les habitants des Bas-fonds n'ont jamais découvert cet endroit. S'il savaient ce qu'il y avait ici, les problèmes du manque d'eau auraient déjà été réglés depuis longtemps ! Seulement l'espace aurait été sûrement abîmé par les humains, même s'il leur permet de survivre. Drôle de paradoxe que de faire du mal à l'endroit qui nous fait vivre. Mais l'homme est l'homme et sa nature destructive ne changera pas.

Emily UnderhillOù les histoires vivent. Découvrez maintenant