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Les présentations terminées, l'instructeur nous regarde tous avec un œil froid et nous ordonne d'une voix ferme de ranger la salle. Il se lève et part en claquant la porte derrière lui. La plupart des personnes se jettent des regards perplexes. Aucune mention de notre attribution des dortoirs. Il nous laisse visiblement nous débrouiller pour l'organisation, au grand bonheur de certains de mes nouveaux camarades à en voir leur tête. 

Le brouhaha reprend petit à petit. Tout le monde se dirige vers Eren, Armin et Mikasa, m'embarquant au passage : ils veulent tous savoir ce qui s'est passé au district de Shiganshina. À mon grand soulagement, Eren explique -non sans laisser paraître sa tension- les évènements, me laissant ainsi la possibilité de partir et de ne pas être interrogée. Je remets ma capuche et recule doucement pour essayer d'attraper mon sac, quand j'entends dans mon dos :

« Eh, Emily ! »

- Hmm ?, je marmonne en me tournant vers le groupe.

- Comment tu t'en es sortie ce jour là ?, me demande un garçon au crâne rasé -Connie-, Tu as vu l'apparition du Titan colossal et le Titan Cuirassé toi aussi ?»

Je m'apprête à répliquer calmement que ça ne le regarde pas, mais Mikasa intervient en me demandant :

« Tu ne serais pas de la famille de la maison de couture Underhill ?»

Je la fixe un moment, légèrement surprise qu'elle connaisse l'entreprise de ma famille à son âge :

«Je suis la petite-fille du créateur de la maison. Mon père était le directeur-couturier avant la chute du mur.

- Oh, c'est donc pour ça que ton nom de famille m'est familier. Notre mère achetait ses vêtements dans votre boutique, c'est étrange que l'on ne t'ai jamais vue. 

- Je ne restais pas au travail avec mes parents, c'est sûrement pour ça.

- Pourtant, on aurait du te rencontrer dans la ville, ou au moins à l'école., intervient Eren, Tu as une tête plutôt reconnaissable, enfin...avec tes cheveux...

- J'ai eu trop de problème avec les gens de la ville pour sortir ou aller à l'école, je rétorque, Si les humains savaient accepter la différence, peut être que j'aurais pu vous rencontrer mais ce n'est pas le cas. »

Ma remarque sèche a jeté un froid sur la salle. Tant pis. L'avantage est que je n'ai plus qu'à rejoindre l'extérieur afin d'être tranquille. Ayant toujours été contrainte d'être solitaire, être au centre de l'attention n'est pas ce que j'aime particulièrement. Je me dirige donc vers l'entassement des sacs, mets le mien sur mon épaule et me dirige vers la porte. Avant de sortir, je me tourne vers l'assemblée et dis, un pincement au cœur :

« Merci de ne pas m'avoir dénigrée quand j'ai montré à quoi je ressemblais. »

Je sors de la pièce et pars m'installer sous une lanterne. Cette soirée s'est déroulée mieux que je ne le pensais. Les gens n'ont pas été violents ou insultants et il y a des survivants de Shiganshina qui peuvent peut-être être des alliés pendant ces années de formation. Avec toutes ces émotions, je n'ai pas vraiment l'esprit concentré sur ma lecture, surtout qu'une ombre se rapproche du bâtiment devant lequel je suis assise. Je m'attendais à ce que ça soit l'instructeur, mais c'est Sacha qui a fini sa course. Au moment où elle entre dans la lumière, elle s'écroule par terre, gisant immobile sur le sol. Je me lève rapidement et m'apprête à aller voir si elle va bien, mais Christa et Ymir me devancent : elles sortent de la salle commune et s'accroupissent vers elle pour lui donner à manger. Quelques minutes plus tard, Sacha a l'air de s'être endormie sur les genoux de Krista. Ymir la prend sur les épaules et l'emmène dans le bâtiment, me disant au passage de rentrer pour venir aider à l'organisation des dortoirs. Son regard froid me dissuade de protester : je les suis et rejoins le groupe qui est entassé autour de la cheminée. Une feuille a été collée au dessus des canapés, et Marco, un crayon à charbon à la main, note les numéros des dortoirs pour organiser la maison. Je pars m'asseoir sur un canapé libre, pas loin des feuilles, tandis qu'il annonce :

« Chambre 1 : Hanz, Tom, Thomas et Nack. Qui pour la chambre 2 ? »

Ce brouhaha continue et je me perds dans mes pensées, observant avec fascination le feu dans la cheminée. Soudain, je crois entendre mon nom à travers le bruit. L'entendant une deuxième fois, je me redresse et m'approche, bousculant quelques personnes au passage. Marco regarde dans la foule puis pose les yeux sur moi :

« Ah tu es là ! Il ne reste qu'une chambre de 6, et il faudra que ça soit une chambre mixte. Est ce que ça te dérange d'être avec Jean, Eren, Armin et moi ? Il y a aussi Mikasa qui a accepté donc tu ne seras pas la seule fille.

- Pas de problème, dis-je en haussant les épaules,

- La distribution des chambres est terminée, partez vous installer !, conclut Jean d'une voix forte. »

Tout le monde s'éparpille avec excitation. Mon sac sur le dos, je m'empresse d'aller chercher le dortoir numéro 8. Dans le chalet, les recrues s'agitent et s'amusent, une effervescence dont je n'ai pas l'habitude. Marco a réussi à calmer tout le monde le temps de l'organisation, mais maintenant qu'il n'est plus aux commandes tout le monde est surexcité.

Je me fraye un passage jusqu'à la porte du dortoir. La pièce est très grande, avec deux lits superposés sur la gauche et deux simples sur la droite, chacun d'entre eux étant accompagné d'une ou deux armoires. Le lit du fond donne sur la fenêtre, ce qui me plaît bien, et je décide donc de poser mon sac sur celui là pour marquer ma place. Le camp d'entrainement se situant au milieu des montagnes, il n'y a pas l'éclairage de la ville comme pollution visuelle. Je pourrai bien bien observer les étoiles depuis la vitre.

Cette constatation me fait sourire. J'aimais beaucoup observer les étoiles quand j'étais petite.

« On a la plus grande chambre les gars c'est trop bien ! »

Cette voix, c'était Jean, et le claquement de la porte m'informe que tout le monde est rentré dans la pièce.

« Vous pouvez passer par la fenêtre pour accéder au balcon si vous voulez. »

L'effet de ma remarque ne se fait pas attendre : tous se précipitent pour aller voir, jetant leurs sacs en plein milieu, sauf Mikasa qui installe ses affaires dans l'armoire du lit à coté du mien.

« Tu sais, tu peux enlever ta capuche, je ne pense pas que les personnes ici vont te rejeter simplement à cause d'un physique un peu différent de nous. »

Je me retourne, c'est Marco qui vient de parler. Tous me regardent et approuvent d'un signe de tête. Je reste sceptique et explique calmement :

« La dernière fois que l'on m'a dit ça, à l'instant où l'on a vu mes yeux, j'ai été traitée de monstre.

- Nous ne sommes pas comme ces gens, ne t'inquiète pas. Ce serait beaucoup mieux si l'on pouvait te parler en voyant ton visage en entier, pas seulement ton nez et ta bouche. »

Cette fois, c'était Jean. J'hésite encore un peu. Je n'ai pas envie de passer des mauvais moments au camp d'entrainement à cause d'insultes sur mon physique. Mais, pouvoir vivre normalement avec eux serait une grande joie pour moi après plusieurs mois à me cacher.

« D'accord, vous avez gagné... »

Et pour la deuxième fois de la soirée, j'enlève ma capuche. Depuis la mort de mes parents, je ne l'ai pas retirée une seule fois en public. Un sentiment de culpabilité m'envahit : je leurs avais promis de ne montrer mon visage qu'aux personnes qui m'aiment. La seule personne devant qui je pourrai l'enlever suivant cette promesse serait mon demi-frère que je n'ai pas vu depuis 3 ans. Je ne connais les personnes de cette chambre que depuis ce matin et je leur montre déjà mon visage...deux ans auparavant, je n'aurais jamais fait cela. 

« Eh bien voilà, c'est beaucoup mieux comme ça ! Eh, Eren, qu'est ce que tu fais ?! C'est mon lit celui là !, crie Jean,

- Non, j'avais posé mon sac en premier ! »

Les deux partent en dispute à cause d'un lit en hauteur, avant que Mikasa ne les couche par terre avec une belle claque sur la tête, comme si de rien n'était. Ils n'ont pas l'air de me vouloir du mal même en voyant que je suis différente d'eux. Peut-être que j'aurais du assumer mon vrai visage devant les gens bien avant aujourd'hui. Peut-être que grâce au camp d'entrainement, je pourrais être assez bien entourée pour me dévoiler comme une personne normale. Je sens que ces recrues vont me sortir de ma zone de confort plus d'une fois...

Emily UnderhillOù les histoires vivent. Découvrez maintenant