Chapitre 1 - La fille de Limerick

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Demain, dès l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,Je partirai. Vois-tu, je sais que tu m'attends.J'irai par la forêt, j'irai par la montagne.Je ne puis demeurer loin de toi plus longtemps.

Victor Hugo


- Ducunt volentem fata, nolentem trahunt, prononçais-je d'une voix posée, le regard rivé sur l'imposante pendule du salon, espérant toujours y voir le temps courir plus vite encore.

J'attendais une réaction qui ne vint pas. Brusquement, je refixai toute mon attention sur la leçon que j'étais occupée à enseigner. Ma jeune élève semblait apparemment à mille lieues de notre si morne réalité, ses yeux vagabondant aux quatre coins de la pièce, comme si elle y distinguait des choses que je ne pouvais voir.

- Maggie ! m'écriai-je en abattant le plat de ma main sur la table. Puis-je savoir à quoi tu rêvasses continuellement ?

La petite fille croisa les bras sur sa poitrine et haussa les épaules, me manifestant ainsi toute l'aversion qu'elle entretenait à l'égard de la langue latine.

- Ducunt volentem fata, nolentem trahunt, répétai-je, lui faisant signe de poursuivre.

- Les destins conduisent ceux qui se soumettent et traînent ceux qui résistent, soupira Maggie avant d'allonger son buste sur la table.

Alors que j'ouvrais la bouche pour passer à la suite, la petite se leva d'un bond, la mine boudeuse.

- Mais je déteste le latin, Miss Sarah, grommela-t-elle. Je préfère lorsque nous apprenons la musique ou même lorsque nous faisons de la géométrie, mais je déteste le latin !

- Je le sais déjà Maggie, mais nous sommes obligées de faire du latin, et tu en es bien consciente. Et si tu veux tout savoir, moi non plus je n'ai jamais beaucoup aimé le latin, mais dans la vie, on ne fait pas toujours ce que l'on aime.

Maggie haussa les yeux au ciel et me tourna le dos. À présent, je l'avais perdue, elle ne reviendrait plus s'asseoir, elle avait décidé qu'elle ne voulait plus travailler aujourd'hui et si telle était sa décision, moi, sa pauvre préceptrice, je devais m'y plier. Je jetai un œil à l'horloge, j'étais presque parvenue à donner mon cours jusqu'au bout. Presque, mais malgré tous mes efforts, et non des moindres, c'était encore une fois cette petite péronnelle fortunée qui avait eu raison de mon autorité. Je soupirai, entendant les paroles de son cher paternel résonner dans mon esprit : Je souhaite la meilleure éducation qui soit pour ma fille adorée, mais surtout n'oubliez pas, peut-être faites-vous office de professeur, cependant, c'est bien elle qui demeurera toujours votre maîtresse.

J'entrepris de ranger consciencieusement mon matériel sous le regard impérieux de Maggie. Je comprenais chaque jour un peu plus pourquoi elle ne fréquentait pas les écoles. Il ne fallait tout simplement pas qu'elle fréquente d'autres enfants de son âge, en réalité moins elle avait de personnes à affronter, mieux elle se portait.

Je traversai la pièce pour ranger soigneusement les livres dans la bibliothèque et, alors que je refermais la vitre protégeant les ouvrages, j'entendis la porte de l'entrée s'ouvrir. Ce devait être Hilda Hillinarhs, la mère de cette délicieuse petite peste qui m'assurait chaque jour mon salaire.

- Je suis rentrée, s'écria une voix mélodieuse depuis le corridor.

Je ne me trompais pas, c'était bien elle, rentrant de son après-midi de bridge hebdomadaire chez la voisine. Hilda entra dans le salon en s'asseyant élégamment dans le sofa, faisant signe à sa fille de venir la saluer. Maggie s'exécuta et déposa un baiser sur la joue de sa mère avant de se laisser tomber à ses côtés.

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