Chapitre 10 - The Red Lion

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Si un plus grand nombre d'entre nous préférait la nourriture,

la gaieté et les chansons aux entassements d'or,

le monde serait plus rempli de joie.

J.R.R. Tolkien


- Miss Sharpe, cria une voix familière dans mon dos alors que je me hâtais sur la chaussée submersible pour rejoindre l'île. Êtes-vous devenue complètement folle ?

Je me retournai pour apercevoir Martin un peu plus loin me faisant de grands signes de bras. Je m'approchai de lui.

- Je ne vous permets pas de telles paroles, Martin ! m'exclamai-je en le rejoignant sur le débarcadère duquel il m'apostrophait.

- Excusez Miss, mais je crois que vous ne vous rendez pas compte du danger que vous encouriez en vous aventurant à cette heure sur la passe, articula-t-il tant bien que mal, sa pipe coincée entre ses dents. D'ici vous ne sauriez le distinguer, mais la marée a déjà recouvert une bonne partie de la chaussée. C'est trop tard pour traverser...

Je jetai un coup d'œil vers Thornholm qui semblait immerger de nulle part, tel un mirage s'exposant aux dernières lueurs du soleil. Depuis le village, la passe me semblait tout à fait praticable, mais si Martin disait vrai, une fois engagée je risquais de me retrouver emprisonnée par les flots. Cette idée me fit frémir, car si j'admirais la mer, l'élevant presqu'au rang de véritable déesse, je la redoutais tout aussi bien.

- Merci du conseil, Martin, je crois bien que vous venez de me sauver la vie, admis-je.

- À votre service, Miss Sarah !

Un homme plus jeune s'approcha alors de nous, un filet de pêche jeté sur ses larges épaules, le portrait de Martin sans les trente années qui ravageaient son visage malicieux.

- Bonjour, Miss...

- Sarah, Sarah Sharpe, complétai-je.

- Je suis Aidan, le bienheureux fils de ce vieux bougre, s'exclama-t-il avant de serrer fermement la main que je lui tendais.

Martin le foudroya du regard :

- Le vieux bougre qui te loge, te nourrit et t'emploie parce que tu n'es pas capable de trouver une femme qui te supporte.

Le jeune homme haussa les épaules :

- J'ai un père qui me supporte, c'est déjà ça.

Aidan sauta alors sur le ponton qui s'avançait devant nous pour rejoindre le petit bateau rouge balloté par la houle un peu plus loin.

- Je dis ça, je ne dis rien, mais, toi mieux que quiconque sais que les sardines n'attendent pas, lança-t-il à l'attention de son vieux père.

Martin soupira bruyamment, avant de se tourner vers moi pour m'adresser un sourire amusé.

- Souvent, il m'arrive de me demander si je suis vraiment le père de ce garçon.

Je ne pus m'empêcher de rire en entendant ses mots. Si Martin semblait quelque peu excédé par son fils, il ne laissait pas moins transparaître une grande fierté qui se lisait sans peine sur son visage lorsqu'il posait les yeux sur Aidan. Je me demandai si un jour mes parents m'avaient regardée de la sorte. Sans doute pas, j'étais trop petite pour susciter leur fierté. Leur amour sans doute, mais pas leur fierté.

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