Chapitre 19 - Memento Mori

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Si mon heure est venue, elle n'est pas à venir ;
Si elle n'est pas à venir, elle est venue
Si mon heure n'est pas venue, elle viendra plus tard, inévitable.
Le tout est d'être prêt.

William Shakespeare


Posée sur le feu, la bouilloire se mit à siffler, je m'en emparai, prenant soin de ne pas me brûler et versai le liquide brûlant sur la boule de thé que je venais d'apprêter. La tasse fumante entre les mains, je retournai dans la salon pour observer, à travers les larges baies vitrées, le soleil qui se levait à l'horizon, baignant le ciel divinement illuminé d'une clarté rosâtre tellement plaisante. C'est alors que mes yeux émerveillés se posèrent sur une photographie posée sur le guéridon. Immédiatement, je trouvai cela étrange car je n'avais aucun souvenir de l'avoir repérée précédemment, or ce salon était l'une des pièces que j'avais le plus souvent occupée depuis mon arrivée. Je m'emparai du cadre pour détailler l'image qui se nichait à l'intérieur. Elle était de piètre qualité, mais je ne mis pas longtemps à comprendre dans quell circonstance elle avait été immortalisée. Une dizaine de personnes, tout de noir vêtues posaient au cœur même d'un cimetière, devant un caveau portant le nom d'Abraham Gillingham, mon grand-père. Parmi les personnes présentes, je reconnus immédiatement Thaddeus, toujours prisonnier de la même expression froide et figée, mais également ma mère qui malgré la robe noire qui l'habillait rayonnait véritablement.

Cette photographie m'intrigua non pas pour la scène qu'elle pérennisait, mais plutôt parce qu'elle me fit remarquer que jamais encore je n'avais été me recueillir sur la tombe de mes parents. Si elle attira mon attention sur ce fait, elle fit surtout naître un besoin viscéral de visiter ce lieu qui abritait leur dernière et éternelle demeure.

J'avais déjà attendu trop longtemps, il me fallait retrouver le chemin de mon passé. J'enfilai mon manteau, et quelques minutes plus tard, je cheminais d'un pas décidé sur les pavés encore humides de la passe menant au village. Mon cœur était léger, mon corps détendu, en cette matinée automnale, je me sentais étrangement bien même si au fond de moi je percevais que dans cet invisible infini qui m'entourait, quelque chose se tramait.

Lorsque j'atteignis le village, le port était désert, les quais à peine foulés par quelques habitants qui ne manquèrent pas de me dévisager, comme à leur habitude. Je les ignorai et empruntai une ruelle qui montait abruptement vers la petite église qui surplombait le village. Elle semblait veiller d'un regard indulgent sur cette bourgade côtière profondément marquée par la rancœur. J'arrivai bien vite au sommet, et pris le temps d'observer ce charmant bâtiment plutôt vétuste dont les pierres grises témoignaient d'une extrême sobriété. Je gravis les quelques marches du parvis et bifurquai, passant une ancienne barrière en fer forgé s'ouvrant sur le cimetière.

Les premières tombes étaient très délabrées, et je n'eus pas de mal à repérer le caveau familial que j'avais observé sur la photographie. Il trônait au milieu du cimetière, entouré de quelques autres imposantes sépultures. Je m'approchai de cet impressionnant monument qui me fit alors prendre conscience de l'importance qu'avait ma famille.

Je repérai aussitôt la plaque sur laquelle était gravé le nom de ma mère. Je posai ma main sur le marbre blanc glacé qui, malgré toute la beauté figée qu'il dégageait, ne m'inspirait que la mort. En prenant la décision de venir, ici, j'avais cru ne pas être capable de résister aux émotions qui allaient m'envahir en me confrontant directement au souvenir de mes parents, néanmoins, je n'éprouvai rien. Mon cœur sembla soudain se vider de toute sa capacité à ressentir. Seul le malaise m'habitait, un profond et lancinant malaise qui m'avait pris à la gorge alors que j'avais passé les grilles du cimetière.

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