Chapitre 18 - God rest their souls

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Il y a deux regards: le regard du corps et le regard de l'âme.

Le regard du corps peut oublier parfois, mais celui de l'âme se souvient toujours.

Alexandre Dumas


- Êtes-vous venu pour récupérer les affaires de votre sœur, Jacob ? demandai-je faisant voler en éclats le silence qui s'élevait entre nous telle une muraille impénétrable.

- Depuis que vous êtes venue me voir, je n'ai pas arrêté de penser à elle... Elle a toujours été si mystérieuse, si inaccessible pour le petit garçon que j'étais et voilà qu'aujourd'hui, se présente à moi la chance de découvrir qui elle était en réalité, n'est-ce pas un merveilleux cadeau de la vie ?

- Vous savez, je suis tombée par hasard sur son journal, à présent suspendu à jamais dans les méandres du temps, et...

Ma voix se brisa. Les derniers mots des pensées les plus intimes d'Edith Barrow me revinrent en mémoire et je me sentis tout à coup mal à l'aise d'avoir osé les lire.

- Et ? insista Jacob, tout à coup curieux d'entendre ce que j'avais à dire sur sa défunte sœur.

- Quelque chose m'interpelle... commençai-je prudemment. Dans ses dernières lignes, Edith semble plutôt heureuse, même plus heureuse qu'elle ne l'avait jamais été. Elle avait trouvé du travail à Londres, un poste de secrétaire pour un journal, elle s'apprêtait même à prendre ses fonctions quelques jours à peine après...

- Après sa mort.

Je hochai tristement la tête.

- Vous comprenez alors ma surprise en apprenant qu'en ce même jour, votre sœur a sauté de cette falaise.

Sans que je puisse mettre des mots sur ce curieux sentiment qui m'étreignit, je me sentis tout à coup envahie d'une émotion terrifiante qui n'était pas mienne ; un mélange de peur et d'extrême tristesse. Mon corps ne répondait plus à mon esprit, et alors que de nouveaux frémissements agitaient mes mains, des larmes se mirent à couler sur mes joues. Jacob Barrow m'observa un long moment, démuni, ne sachant comment agir face à la jeune femme en pleurs qui se tenait devant lui. Il finit par se lever pour venir s'asseoir à côté de moi, s'emparant de mes mains tremblantes.

- Vous ne devez pas vous mettre dans un état pareil, Sarah, tout ça demeure à jamais dans le passé, il n'y rien que nous puissions y changer.

Je crus alors apercevoir une silhouette dans l'embrasure de la porte, qui nous observait, tapie dans l'ombre du couloir. Mes yeux embués de larmes me faisant sans doute à nouveau défaut, je les frottai énergiquement, désespérément honteuse de cet instant de faiblesse que je m'étais autorisée à vivre. Mais, lorsque je les rouvris, il y avait bien quelqu'un face à nous, se tenant juste devant la cheminée. C'était une jeune femme au visage extrêmement pâle, murée dans une mélancolie absolue qui transpirait de tout son être vaporeux.

- Mon Dieu, Jacob, dites-moi que vous la voyez, murmurai-je.

Le médecin regarda tout autour de lui, interloqué, à la recherche d'une quelconque personne. En voyant ses traits se fondre dans une expression d'incompréhension, je compris que j'étais sans nul doute bonne à être enfermée à l'asile. Mes pleurs redoublèrent alors d'intensité et l'ombre disparut derrière mes larmes.

- Je ne comprends pas ce qui m'arrive, gémis-je, me levant pour me cacher derrière mes mains.

Je sentis alors des bras se refermer autour de moi, une douce chaleur m'enveloppant soudain.

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