Chapitre 8 - Une ancienne ritournelle

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Sur ce sentiment inconnu dont l'ennui, la douceur m'obsèdent,

j'hésite à apposer le nom, le beau nom grave de tristesse.

Françoise Sagan


Alistair récupéra plusieurs chutes de bois dans la remise et m'aida à les fixer sur la porte de la bibliothèque afin de boucher le trou béant laissé par la vitre brisée. Pendant tout ce temps attelé à cette tâche, Alby demeura couché devant la cheminée à nous observer de ses deux grands yeux noisette remplis d'interrogation. Nous œuvrâmes dans un de ces silences immuables entourant très souvent deux étrangers, trop réservés ou peut-être trop fiers pour se décider à le briser.

Lorsqu'il eut terminé, je demandai à Alistair de partager un thé avec moi, pour le remercier de sa gentillesse, chose que je n'aurais jamais envisagée quelques jours plus tôt. Il déclina et je compris alors qu'il n'était pas du genre à boire du thé, je lui proposai alors un brandy qu'il accepta sans se faire prier.

- Mr MacClare, commençai-je après lui avoir servi un verre d'alcool, la question que je vais vous poser vous semblera probablement étrange, mais si vous n'avez pas brisé cette vitre cette nuit, qui donc a bien pu le faire ?

Le gardien du phare laissa un instant ma question en suspens, prenant le temps de vider son verre cul sec et de le remplir à nouveau, témoignant d'un certain penchant pour les breuvages alcoolisés.

- Une chose est sûre, Miss, vous et moi sommes les deux seuls habitants Thornholm en cette période. Nous pouvons donc conclure que personne sur cette île n'a pu s'introduire chez vous. Pour ce qui est des villageois, j'émettrais une certaine réserve, expliqua-t-il en reposant bruyamment son verre sur la table.

- Que voulez-vous dire par là ?

- Je ne suis pas vraiment au courant de tout ce qui a pu ébranler leur petite vie paisible et étriquée, mais je sais qu'ils nourrissent une grande rancœur pour ne pas dire animosité envers votre famille. Vous êtes la fille héritière des Gillingham, et ils ne doivent pas voir d'un très bon œil votre retour.

Je méditai un moment cette réponse, troublée.

- Ce que vous dites est étrange, ma gouvernante, Mrs Molesley, ne m'a jamais parlé de ce ressentiment envers ma famille, que du contraire...

Une étrange expression traversa le visage de mon invité qui se pencha vers moi, comme pour me murmurer ces mots, comme si quelqu'un avait pu nous entendre, plantant son regard noir dans le mien.

- Votre père était fou, Miss Sharpe, telle est l'origine de ce ressentiment.

- Fou, c'est ce que ces villageois croyaient, mais il n'était pas plus fou qu'eux ! m'écriai-je heurtée par les mots de cet homme qui ne connaissait ni moi, ni mes aïeux.

Il se resservit une nouvelle fois avant de relever les yeux vers moi.

- Je ne fais que vous répéter ce que les gens racontent...

Dans le grand salon, la quiétude reprit ses droits pendant quelques minutes durant lesquelles j'observai le liquide doré qui tanguait dans le fond de ma tasse de thé.

- Vous croyez que les villageois, du moins certains d'entre eux pourraient vouloir me faire partir ? finis-je par demander.

- Les gens d'ici sont à la fois rancuniers et superstitieux, si leurs convictions leur demandent de vous faire partir, ils le feront.

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