Chapitre 15 - Pétrichor

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Les illusions tombent l'une après l'autre,

comme les écorces d'un fruit, et le fruit, c'est l'expérience.

Sa saveur est amère.

Gérard de Nerval


- Souviens-toi, souffla de manière presqu'inaudible une voix à mon oreille.

J'ouvris les yeux, me libérant peu à peu de l'emprise de ce sommeil lourd qui m'étreignait depuis trop longtemps. Il était déjà onze heures et ignorant mon état fébrile, je sortis de mon lit, un horrible sifflement rudoyant mes oreilles.

Sans plus attendre, je remplis la baignoire d'eau froide pour m'y plonger. J'y restai quelques minutes le temps de réordonner mes idées dans mon esprit. Mon front bouillant finit par retrouver une température acceptable et je m'enroulai dans une serviette avant de frictionner ma peau avec acharnement pour me réchauffer. J'enfilai une robe à la hâte et remis de l'ordre dans mes cheveux avant de quitter ma chambre, le plan de ma journée déjà bien établi.

Alors que je couvrais mes épaules de mon manteau, des pas précipités arrivèrent jusqu'à moi.

- Miss Sarah, vous ne pouvez pas sortir dans cet état, voyons ! résonna la voix d'Imelda dans le grand hall. Je suis venue vous voir ce matin dans votre chambre, vous étiez fiévreuse et j'ai donc pris la liberté d'appeler le médecin pour qu'il vienne vous examiner.

- Je vais bien, Imelda.

- Je ne pense pas, Miss...

- Je vous assure, Imelda, ne vous inquiétez pas pour moi, lançai-je en sortant.

Je claquai la porte derrière moi, laissant sans doute ma vieille gouvernante consternée à l'intérieur. Le soleil brillait, et seul le sol humide portait encore les stigmates de la tempête qui avait secoué l'île la nuit dernière. Une forte odeur de pétrichor montait depuis l'herbe moite, une odeur qui m'avait toujours emplie d'une sensation de plénitude que je ne pouvais expliquer. À cette heure, la marée venant de se retirer, j'avais tout le loisir d'effectuer ma traversée et de revenir. Mes jambes étaient encore quelque peu vacillantes et ma tête semblait coincée dans un étau qui ne cessait de se resserrer autour de mes tempes, néanmoins, l'air frais finit par me rendre la pleine possession de mon corps. Je me forçai à avancer,

Déterminée, je marchai d'un pas rapide, poussée par cette soif de savoir qui m'avait tirée de mon sommeil ce matin-là.

En arrivant au village, je ne fus pas surprise de trouver le vieux Martin sur le ponton, affairé à délester son piteux navire de ses prises du jour. Autour de lui, une vingtaine de villageois se pressaient, déjà prêts à enchérir sur sa cargaison. Je m'approchai timidement et lorsque Martin m'aperçut, il m'adressa un grand signe de la main avant de me rejoindre de sa démarche chaloupée, abandonnant son pauvre fils aux harpies qu'étaient ses clientes du jour.

- Bien le bonjour, Miss ! Comment allez-vous ce matin ?

- Je vous avouerais que j'ai déjà connu mieux, mais ce n'est pas l'objet de ma visite... À vrai dire, j'aurais besoin de votre aide Martin, avançai-je d'une voix enjôleuse.

- Je vous en prie Miss, vous pouvez tout me demander, m'assura-t-il en posant son béret sur sa poitrine, comme pour me prouver la loyauté qu'il me vouait.

- Je voulais savoir si, par hasard, vous auriez connu une certaine Edith Barrow.

À peine ce nom sorti de ma bouche, le visage du marin se déforma pour se muer en un masque d'hostilité qui, pendant un court instant, me donna envie de ne pas poursuivre plus loin mes recherches.

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