« I have never known who or what I am supposed to be. The only thing I know for sure, is that I am supposed to be more than I have been. »—William Chapman.
Partie V.
Son pinceau glisse sur la toile rapidement, il est inspiré, ses écouteurs enfoncés dans les oreilles et le son bouleversant de Requiem for a dream qui résonne dans son esprit. Ça fait vibrer son coeur, son être, ses entrailles. Du bleu, du violet, du rose, du rouge. Comme ça, à la va vite. Pourtant, c'est pointilleux et précis. Un dégradé de couleurs qui commence à s'étendre sur tout le papier blanc. De la peinture sur ses doigts et sur sa joue gauche une traînée de bleu, il ne s'arrête pas pour autant. Il est trop ancré dans son imagination. Les images, le résultat final lui vient déjà en tête. Il sait tout. La musique l'emporte, le fait frissonner. Pour une fois, il ne se préoccupe pas des autres élèves. Ils ne sont pas trop nombreux aussi, et pas trop méchants. Personne ne lui a jamais adressé la parole, si ce n'est pour lui demander une gomme ou un fusain, mais il ne se sent pas mal à l'aise comme il peut l'être dans les autres cours. Ils sont chacun dans leur monde, il y a simplement des petits groupes qui se sont formés, des duos ou plus. Lui, préfère peindre et travailler seul. La professeur vient souvent regarder ses œuvres et lui parler, lui donner des conseils. Elle est aimé de tout le monde, c'est un peu une gentille grand-mère mais en un peu plus jeune. Ici, il peut vraiment s'exprimer. Être lui. En plus, il récolte toujours des bonnes notes proches de vingt pour faire ce qui lui plaît. Voilà pourquoi il adore tant le cours d'art du Jeudi après-midi. Trois heures dans une grande classe, des tables longues, des ordinateurs un peu plus loin, des dessins partout sur les murs, des projets différents. Certains sont à lui. Il les regarde chaque fois qu'il passe. Il n'oublie jamais. Trois heures de pratiques et deux heures de culture artistique, dans la semaine, où il apprend les mouvements, découvre l'histoire de la photographie et de la peinture. Il s'y perd, mais agréablement cette fois.
Il s'y perd tellement qu'il oublie presque que c'est l'heure. Les trois heures se sont écoulées bien trop rapidement. Il voit les autres ranger leurs affaires, alors il éteint sa musique et va nettoyer ses pinceaux. Il doit laisser son tableau sécher. L'eau prend la couleur bleue, ça dégorge de partout. L'évier est bien sale. Ou plutôt réellement incrusté de peinture sèche. A côté, il y a des palettes et des pinceaux qui n'ont même plus leur couleur initiale. Il pose les siens dans un pot et va rejoindre sa place pour reprendre son sac. Derrière lui, il sent une présence. Timidement, il dévie son regard jusqu'à tomber sur cette fille qui observe son projet. Ses cheveux bruns, assez foncés et longs, bouclés, relevés en un gros chignon brouillon au dessus de sa tête, un piercing en forme d'anneau orne son nez du côté droit et elle arbore un style à la garçonne qui reste tout de même sophistiqué. Un tee-shirt The Clash rentré dans un jean noir, une veste en cuir et un trait épais eye-liner sur ses yeux, en dessous de ses grosses lunettes rondes, fines. Elle le regarde ensuite et lui offre un grand sourire en remontant son sac sur son épaule.
« C'est vachement beau ce que tu as fait là. »
Nolan lui fait un signe de tête pour la remercier. Il n'est pas tellement habitué aux compliments. Ni même à ce que quelqu'un s'intéresse à ce qu'il fait. La professeur d'art, elle, est sûrement la seul qui admire son travail. D'un certaine manière, elle y contrainte aussi par son travail, mais elle pourrait très bien simplement lui dire ce qui va ou non. A chaque fois, elle émet un commentaire sur son œuvre, du genre « C'est vraiment épuré et sublime Nolan. » ou « Ce dessin est très personnel, les traits sont fins et appliqués. Bravo ! ». Mais, avec un autre élève, ce n'est pas pareil. Il ne sait pas si c'est sincère ou si c'est pour l'atteindre et se moquer de lui. Pourtant, elle semble être quelqu'un de confiance. Elle tient sous son bras un calepin et un crayon entre ses doigts recouverts de vernis à ongle noir. Lui remonte son sac sur son épaule. La salle est vide. Il reste simplement la professeur qui nettoie le tableau et range des chaises, elle les salut. La fille le suit toujours. Il voudrait marcher vite et s'enfuir en courant. Mais ce sont des choses qui ne se font pas. Il l'a déjà vu avant. C'est le genre de personne à être amie avec tout le monde, elle est gentille, elle a un beau sourire et elle est rigolote avec ces vêtements décalés parfois. Elle varie les styles, parfois punk, parfois rock, parfois hippie, parfois garçonne... Et avec ses grosses lunettes elle ressemble à Harry Potter, sans la cicatrice et la bague magique. Par contre, elle a l'écharpe Griffondor souvent autour du cou. Ainsi que le pendentif des reliques de la mort.
Ils sortent ensemble. Le couloir est presque vide. Presque, parce qu'un petit groupe se tient au bout, près de la porte qui mène aux jardins et qu'il y a Gabin, juste devant la salle. Il est appuyé contre le mur en brique rouge, son portable entre les mains, il porte une veste en jean trop grande pour lui. Il est toujours habillé ainsi, avec des vêtements trop grands. A part les pantalons. Cette veste, il l'a déjà porté plusieurs fois. Elle lui vient de son père, il lui a légué, parce qu'il n'est plus assez jeune pour la mettre. Mais au bouclé, ça lui va bien. Ça ravive son teint laiteux, ça apporte une lumière. Nolan s'arrête quand il le voit, son sac sur son épaule et son carnet de dessin qu'il n'a pas eu le temps de ranger encore dans sa main, contre son torse. La fille est toujours là, elle aussi. Elle les observe en silence. Le brun range son portable et se rapproche d'eux, il l'observe et fronce les sourcils. Il ne l'a jamais vu avant. Encore moins en compagnie de Nolan. Mais elle, toujours avec son air joyeux, elle répond :
« Salut ! Je m'appelle Anouk. »
« Gabin. »
Et c'est tout. Des présentations comme ça, sans réel sens, sans réelle envie. Dans le vide. Un bonjour qui sera oublié. Parce qu'ils ne se parleront peut-être plus jamais. Ils ne sont encore jamais vu après tout. Le châtain les observe sans rien dire, il ne sait pas s'il doit ajouter quelque chose. Alors, il commence à marcher vers la sortie. Dehors, il fait froid. Il fait du vent, il est glacial. Ses doigts tremblent, son manteau est remonté jusqu'au bout de ses phalanges pourtant et il a ce bonnet fixé sur sa tête, cette grosse écharpe aussi. Mais la brise l'atteint quand même. Gabin le rattrape, lui tend sa main, il met un moment avant de se rendre compte qu'il lui propose ses gants. Il le regarde, hésite, se dit que non et les prend finalement. Tant pis. Ils sont chauds, doux et noirs. Quand ils arrivent à la grille, Rachel fait un signe de la main à un groupe de fille et se tourne vers les deux garçons, elle s'adresse à Nolan.
« A Jeudi prochain. »
Puis elle s'en va. Elle n'attend pas une réponse, parce qu'elle sait pertinemment qu'elle n'en aura pas. Pas avec lui. A deux, ils reprennent la route. A pied. Il est à peine dix sept heures, mais le ciel est déjà presque noir. Quelques étoiles. Quelques points lumineux. Ils sont entourés par le bruit, par les adolescents qui poussent des cris, se parlent et rient. Mais eux, sont silencieux. Pour une fois, Gabin ne lui raconte pas sa journée. C'est presque devenu un rituel depuis deux semaines. Il l'attend à chaque fin de cours et ils font la route ensemble. Nolan n'a jamais rien dit. Même s'il n'est pas habitué. Il laisse le bouclé combler le silence avec ses remarques sur les cours de littérature ou ceux de philosophie. « Tu comprends toi, ce que ça veut dire Descartes avec le cogito ? Je pense donc je suis. C'est à la fois simple et compliqué. Tu as l'impression de saisir ce qui se cache derrière sa réflexion, mais quand tu creuses, tu découvres des significations beaucoup plus étendues et complexes... » Et il continue de parler, de poser des hypothèses comme ça. Il répond à ses propres questions.
« C'est ton amie ? »
Finalement, Gabin brise le silence et le bruit autour d'eux qui commençait à se dissiper à mesure qu'ils s'éloignent. Il a le visage tourné vers lui, il attend sa réponse. Son regard rivé sur lui. Il sent un ton spécial dans sa voix, elle déraille un peu. Pendu à ses lèvres. Nolan hausse les épaules, détaché de tout.
« Non. »
Je n'ai pas d'amis, a-t-il envie de rajouter, mais il se contente de ces trois lettres. Le brun hoche la tête et regarde à nouveau devant lui, les mains enfouies dans les poches de sa veste. Pendant le reste du trajet, il parle de leur exposé sur Baudelaire. Même si c'est dans un moment. Nolan aime ce poète, ça ne le dérange pas. Il l'écoute, ne dit rien, fume sa cigarette le long de la route puis lui murmure un au revoir timide une fois devant chez lui. Pas un A demain . Il n'aime pas ces mots, il les déteste même. A demain. Ça sonne trop comme une promesse. Je te vois demain. Et il a peur que justement, s'il vient le lendemain, s'il compte sur espoir, il soit brisé en voyant que personne n'est là pour l'attendre. Qui sait de quoi sera fait demain ? Personne. C'est au jour le jour. Incertain. Bancale. La roue qui tourne. Un matin le ciel est bleu, un autre gris. Puis, il préfère la pluie que le soleil. C'est plus poétique, c'est reposant. Ça ne fait pas mal à la tête, au moins. Gabin lui fait un signe de la main, un léger sourire sur les lèvres et lui dit, par contre, à demain. Pour lui, c'est une certitude. Aucune doute, il le verra demain.
Juste avant de renter chez lui, il retire les gants noirs et chauds, ses doigts se congèlent immédiatement. Il les tend au bouclé qui hésite. Ses yeux crient : Garde les, tu me les rendra demain. Et ça aussi, c'est une promesse, Nolan n'en veut pas, alors il le fixe et attend, le bras à moitié tendu vers lui. Impassible. Il a envie qu'il s'en aille, maintenant, qu'il tourne le dos et rentre chez lui avant que sa mère ne sorte sur le palier et décide de l'inviter. Gabin cède et les récupère, il les enfile rapidement, ils sont encore chauds des mains du châtain. Il pousse un soupir et lève les yeux au ciel, voulant se donner un air arrogant. Ce qui, par ailleurs, ne fonctionne pas du tout. Il est bien trop gentil pour ça. Du moins, en apparence. Ils se regardent encore quelques secondes et Nolan brise finalement le contact, il tourne le dos, avant d'ouvrir la porte et disparaître à l'intérieur de sa maison.
La chaleur contraste avec le froid cinglant du dehors, il se sent tout de suite mieux. Il retire sa veste, son écharpe et son bonnet, frotte ses mains entre elles et défait ses chaussures. Au salon, son père lit le journal dans le canapé et sa mère parcourt un magazine de cuisine. Elle lui adresse un bonjour, avec un sourire, il hoche simplement la tête et rejoint la cuisine pour se prendre un fruit. Son sac encore sur les épaules, il décide de choisir une pomme. Il repasse dans la pièce principale, en silence, mais la voix de sa mère l'arrête à l'entrée du couloir.
« Comment s'est passé le lycée, mon chéri ? »
« Sérieusement ? Demande-t-il en se retournant vers elle, un sourcil haussé. »
« Nolan, je suis... »
« Ma mère, je sais oui. Mais tu agis comme telle uniquement lorsque ça te chante, quand tu sens que tu n'a pas été un bon exemple. Sauf que, ça fait dix huit ans que je suis né et que tu aurais dû t'en rendre compte bien avant. »
« Jeune homme, tu vas parler plus correctement à ta mère, tu n'es pas en position de couper la parole et prendre ce ton hautain avec nous. Intervient son père en posant son journal sur le bras du fauteuil, le regard sévère. »
« Et vous n'êtes pas non plus en position de me donner des ordres. »
« Qu'est-ce que tu racontes N... »
« Tu le sais bien, ne fais pas celle qui ne comprend pas. Tu ne t'intéresses à moi que lorsqu'on reçoit des invités. Tu ne te soucies pas de savoir si ça va en cours, si j'ai des bonnes notes, si j'aime ce que j'étudie... Tu ne me demandes rien de tout ça. Tu ne sais même plus quoi m'offrir à Noël, c'est pour ça que tu crois m'acheter un sourire et des étoiles dans les yeux quand tu me donnes deux billets de cinquante euros ? Mais désolé, ça ne fonctionne pas. Pas avec moi. Je sais bien que je ne suis pas le fils modèle, que j'ai gâché toutes vos attentes, seulement je ne changerai pas qui je suis pour vous plaire. »
Sa mère ouvre grand la bouche, l'air outrée et les ses yeux bleus globuleux. Elle semble ne pas en croire ses oreilles, que son fils ose se rebeller, reprendre le contrôle. D'habitude, il ne laisse aucun mot de trop franchir la barrière de ses lèvres, ne s'emporte jamais, reste en retrait. Muet, transparent. Invisible, comme il sait si bien l'être. Même ses propres parents ne le remarquent pas. Ils ne cherchent pas à savoir s'il va bien, si ses journées au lycée se passent correctement, s'il se fait des amis. Ils ne pensent qu'à ce qui les avantage. Les notes, les résultats scolaires, et s'ils s'avèrent insatisfaisants, alors Nolan a bon à recevoir une leçon de morale, sur le fait qu'il doit passer moins de temps sur son portable ou dans ses livres, et plus se plonger dans ses cours. Seulement, cela n'arrive pas souvent. Sans se venter, il est plutôt intelligent, autonome et studieux. Mais ça, ce n'est rien en comparaison avec sa grande sœur qui est l'enfant prodige de la maison. Emmanuelle par ci, Emmanuelle par là. Ses parents n'ont d'yeux que pour elle, que pour ses réussites et son comportement exemplaire. Un petit ami dont les géniteurs ont assez d'argent pour lui payer son propre appartement, ses cours de piano au conservatoire et une décapotable flambe en neuve. Et, cerise sur le gâteau, il fait des études en droit et veut devenir avocat comme son père. Le gendre parfait.
Et Nolan... Nolan n'entre pas dans les cases qu'on fixé ses parents. Nolan est en marge. Nolan aime le vernis à ongle coloré ; bleu, violet, rouge, pourpre, lilas... Nolan aime la littérature, l'écriture, la poésie, les jolis vers, les jeans moulants et les pulls deux fois trop grands pour lui, l'hiver, la neige, la pluie. Nolan aime les garçons, et ça aussi, c'est un problème. Surtout aux yeux des deux personnes qui l'ont mis au monde. Ils le voient, depuis un moment, comme un enfant raté, un échec. Théo, lui, est son rattrapage. Une version amélioré de lui. Afin d'avoir la fille et le fils parfaits. La famille parfaite. Sauf que... C'est un leurre. Une illusion. Une utopie. Parce que la perfection n'existe pas. Surtout dans une famille où règne autant de différences. Chaque fratrie a ses défauts, aucune exception à la règle. Et ceux qui veulent paraître nets et sans soucis, sont de loin les pires de tous. Les plus touchés par la tromperie. D'apparence, tout est beau, intact. La mère de Nolan garde des enfants de moins de trois ans dans une crèche, son père travail en tant qu'ingénieur dans une grande industrie de construction en aéronautique, ferroviaire et navale, sa sœur fait des études de droit pour devenir avocate. Derrière ce tableau lisse, il y a des trous, des blessures, de la poussière, du mauvais. Quelque chose qui fait tâche et qui a séché, qui est impossible à enlever.
Les apparences sont trompeuses, Nolan le sait, mieux que personne. Sa propre famille ne fait pas attention à lui, à ses choix, à ce qu'il peut bien entreprendre. Pourtant, ils se permettent de juger sa façon de vivre. Ils ne veulent pas d'un fils homosexuel, qui a un goût prononcé pour les vernis à ongle et qui veut que son métier soit dans le domaine de l'art ou de la littérature. Alors que sa mère le voyait déjà, depuis qu'il était entré au collège, médecin, chirurgien ou militaire. Quelque chose qui gagnerait bien et qui façonnerait son image de famille en or. Parce que ça fait jalouser les voisins, parce que l'argent qu'ils récoltent leur permet d'acheter une voiture dernier cri, de construire une piscine à l'arrière du grand jardin et d'exposer toute leur richesse aux yeux du quartier. Mais dès que quelque chose se passe mal, dès que Nolan se promène dehors avec Théo pour se rendre au parc, qu'il porte ce verni, ou qu'il approche un garçon à moins d'un kilomètre, ça fait jaser ces vipères qui ont soif de ragots, de commérages. Ça nourrit les conversations à table, le soir, autour d'un repas chaud. Même eux. Même sa mère parle de la jupe trop courte que portait la fille des Miller ou la bagarre qui a eu lieu entre Monsieur un tel et Monsieur un tel à cause d'une haie de jardin qui n'a pas été convenablement coupée. C'est ça, juste ça, un jeu sur les apparences. Sur qui aura la meilleure marque de voiture de la rue, qui aura fait le plus beau et bon gâteau pour la fête des voisins. Et c'est puéril.
Sans demander son reste, il monte dans sa chambre et ferme la porte derrière lui. Il ne la verrouille pas, parce qu'il sait que son frère va venir le rejoindre. Un moment ou l'autre. Même s'il fait frais, il se rend sur le balcon et va directement s'allumer une cigarette. Ça réchauffe ses doigts et sa cage thoracique. Ca brûle, ça consume et ça fait un bien fou. Le jour se couche à peine. Il est énervé. Il a besoin d'évacuer. De décompresser. De vider. Appuyé contre la rembarre, les coudes posés sur le rebord en fer, il regarde le ciel qui s'étend droit devant lui. Un jeu de lumière. Avec certaines fenêtres de maisons allumées, les phares des voitures aussi. Il reste là une vingtaine de minutes, enchaîne trois cigarettes. Sans arrêt. Il en a besoin. Et il aurait pu aller jusqu'à cinq si son frère n'avait pas toqué à la baie vitrée, entre-ouverte. Un air timide sur son visage. Il écrase son mégot dans un pot sur une table dehors et rentre à l'intérieur. Il range son paquet, le cache dans la poche de sa veste puis ferme la fenêtre.
« Pourquoi tu fumes ? »
« Parce que ça me fait du bien. »
« Mais maman dit que c'est dangereux. »
« Oui, c'est vrai, mais parfois le danger a du bon. »
« J'comprend pas, ça veut dire que je pourrai fumer un jour aussi moi ? »
« Sûrement pas. »
« Pas juste ! »
Nolan se met à rire puis ébouriffe ses cheveux, avant de se pencher et poser un baiser sur son front. C'est doux, rassurant, et ça réchauffe le coeur. Théo grimpe sur le lit, ses pieds pendent dans le vide, contre la couverture, il tient plusieurs figurines dans ses bras qu'il étale dessus. Il laisse ses petits chaussons en forme de voiture tomber sur le sol et s'allonge sur le ventre. Entre ses petits doigts, il saisit la figurine de Iron Man et la lève au plafond. Il s'envole parmi les étoiles. Le châtain sourit, attendri, puis vient s'asseoir à son tour. Il prend celle de Hulk et la fait cogner, doucement, contre la sienne. Pour mimer une attaque. Comme ça, ils jouent ensemble. Pendant plus d'une heure. Sans chichi. Sans artifice. Nolan oublie tout, son petit frère a ce don de tout illuminer quand il entre dans une pièce.
« T'as dit qu'on changerait la couleur de ton vernis ! On peut le faire maintenant ? »
« Oui, si tu veux. Va le chercher. »
Théo se lève rapidement, pressé et impatient, il arbore un grand sourire qui s'étend jusqu'à ses petites oreilles. Il revient avec le flacon de vernis bleu, une bouteille de dissolvant et quelques carrés de cotons. Il revient s'asseoir en tailleurs sur le lit, il fait attention à la couverture encore propre de la veille. C'est pour cela que Nolan y pose une serviette avant. Il dévisse le bouchon, laisse l'odeur légèrement désagréable chatouiller son nez et essuie un peu le surplus de liquide avant de le tendre à son petit frère. Ce n'est pas la première fois. Il a l'habitude, il lui fait confiance. Il sait qu'il va s'appliquer pour que le résultat soit parfait. Petit à petit, la couleur bleue électrique recouvre ses ongles. Il écoute en même temps l'histoire de son frère, qui lui raconte des anecdotes sur les élèves de sa classe. Du haut de ses cinq ans, Théo est un garçon très réfléchit, un peu surexcité parfois, mais qui sait être juste et raisonnable. Ce qui ne sont pas des qualités très répandues chez les enfants de son âge. Il voit les choses simplement, il ne pose pas de barrières. C'est sûrement pour cela qu'il insiste pour que son père lui construise une cabane dans l'arbre du jardin arrière, ou encore de pouvoir apporter son aide quand ils font un barbecue. Il a le goût du risque, il veut tester ses limites et affronter le danger.
Nolan, au contraire, préfère sa petite routine bien fermée. Il déteste, surtout, quand quelqu'un vient briser sa bulle qu'il prend du temps à façonner. Mais personne ne peut réellement empêcher et se protéger des imprévues. C'est la vie. Et elle ne serait pas si belle, si quelques impulsions d'adrénaline ne venaient pas faire trembler notre coeur de temps en temps. Pourtant, Nolan ne la trouvait laide. La vie. Il ne comprenait pas du tout, pourquoi des enfants étaient mis au monde, pour se suicider quelques années après, à cause de la pression de la société, du regard d'une poignée d'imbéciles. Quel était le but, au final ? Toujours la loi du plus fort. Eux survivent, sourient et les plus faibles s'enfoncent, trépassent.
« T'aime bien ? »
La voix de son frère le ramène sur Terre, il cligne des paupières alors qu'il fixait un point lumineux au dehors, sûrement une lumière allumée dans une maison. Le plus petit le regarde, intrigué, le flacon refermé qu'il tient fermement entre ses minuscules doigts. Nolan baisse les yeux vers ses doigts, le verni est lisse, la couleur métallique et presque aucun débordement. Il affiche un sourire en coin puis hoche la tête, satisfait et fier.
« J'adore, merci bonhomme. »
Ses mots sont sincères, il se penche et vient poser un baiser sur la joue de Théo, il fait une petite grimace accompagné d'un Beurk. Mais il est heureux aussi. Cela se voit dans ses yeux, dans la lueur qui y brille. Et le sourire qui illumine son visage de petit ange. Il n'a même pas besoin de halo. C'est naturel.
Il est vingt et une heure quand Nolan remonte dans sa chambre, après un dîner assez tendu. Même si Emmanuelle a essayé plusieurs fois de détendre l'atmosphère en parlant de ses études ou d'anecdotes amusantes sur ses amies de la faculté. Il n'avait presque pas touché à son assiette remplie de petit pois, pomme de terre et dinde. Ses mains avaient été occupé par un bout de pain qu'il s'amusait à décortiquer, la moindre miette devenait alors plus intéressante que les regards jetés de travers par son père ou les remarques désobligeantes de sa mère. La porte se ferme derrière lui, il s'assoit en tailleurs sur son lit, prend son livre d'histoire-géographie et révise le dernier chapitre sur la Chine. Pendant une bonne dizaine de minutes, il y arrive, mais son regard est ensuite attiré par quelque chose sur sa table de chevet. Juste à côté de sa tête, lorsqu'il se couche. Chaque soir, ou presque, il le regarde. L'origami. Celui que Gabin lui a donné. Il mordille le bout de son stylo, fixe le papier puis se lève du lit. Les révisions attendront.
Délicatement, il prend le bout de feuille entre ses mains. Un petit papillon, fin, soigné et très réaliste. Il le garde dans une main, va fouiller dans son bureau pour en sortir une bobine de couture. Il ne sait même pas ce qu'elle fait là, mais elle tombe à point nommé. Il s'assoit sur sa chaise, allume une lampe pour y voir plus clair, pose l'origami sur le bureau et coupe une certaine largeur de fil. A l'aide d'une aiguille, il fait un tout petit trou, minuscule, au niveau du milieu du dos du papillon. Et, avec la plus grande précision du monde, y glisse le fil. Sans aucun problème, il y rentre. Et voilà, en un tour de main, c'est joué. Il est plutôt fier. Mais plus encore quand, sur la pointe des pieds, il monte debout sur son lit et enroule le fil autour d'un pan du lustre au plafond. Dans un soupir, il s'allonge sur le dos et regarde sa nouvelle décoration. Le papillon vole. Et s'il tend la main, écarte les doigts, il a l'impression de voguer à ses côtés parmi les astres.
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Colored Nails.
Romance« De quelque façon que les hommes veuillent me voir, ils ne sauraient changer mon être, et malgré leur puissance et malgré toutes leurs sourdes intrigues, je continuerai, quoi qu'ils fassent, d'être en dépit d'eux ce que je suis. » - Rousseau, Les R...