Chapitre 10

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" Je suis l'océan. Je suis la mer. Il y un monde à l'intérieur de moi."

Evangeline

J'ouvris mon placard. Non. Je poussai les chaussures en bas. Non, toujours pas. Je regardai sous mon bureau, soulevai l'amas de sacs plastique qui s'y trouvaient. Il fallait que je les range d'ailleurs. Mais non. Je tentai le coup sous mon lit. Bingo ! Je m'allongeai sur le sol, rampai pour me coller à mon lit et tendis ma main pour enlever les ébauches de mes anciens dessins d'art plastique des années précédentes et tirer mes chaussures de sport. J'avais cette fâcheuse manie de toujours envoyer mes chaussures au travers de ma chambre lorsque je les retirais. Je m'assis ensuite sur le sol, les enfilai puis nouai mes lacets, tout en soufflant incessamment pour retirer une mèche de cheveux tombant devant mon visage. Après m'être relevée et les avoir attachés, je récupérai mon téléphone sur mon bureau au passage puis sortis de ma chambre éclairée par les rayons de soleil du dimanche matin de septembre.

« JE VAIS COURIR ! criai-je tout en descendant les escaliers. »

Mes parents et mon frère me dévisagèrent de la cuisine, l'air encore endormi. Il faut dire qu'ils n'étaient vraiment pas rentrés tôt la veille, ou plutôt ce matin, à une heure avancée de la nuit. Ma mère devait travailler, mais elle avait pris son samedi pour leur anniversaire de mariage.

« Tarée, murmura mon frère.

- Je ne suis pas folle, ma réalité est juste différente de la tienne !

- Et c'est de qui ça ? soupira-t-il en laissant presque tomber sa tête dans son bol de céréales.

- Le chat du Cheshire dans Alice au Pays des Merveilles.

- Forcément...

- Tes cheveux trempent dans le lait ! ajoutai-je tout en claquant la porte. »

Je trottinais déjà tout en enfonçant un écouteur dans mon oreille. Je saluai la voisine qui sortait sa poubelle et elle me répondit par un regard compatissant accompagné d'un sourire. Je sélectionnai Get Back Up de The Unknow et entrepris ma course. Je saluai d'un bref geste de la main les habitants de Dubloon Court qui m'avaient vu grandir, tout en prenant le chemin de la plage. Il fallait à peine plus d'une demi-heure pour y aller à pied, mais seulement un quart d'heure en courant. La course du dimanche matin m'avait paru la seule activité sportive envisageable pour moi après ma convalescence pour plusieurs raisons :

a) Je n'étais pas obligée de trouver une personne pour m'accompagner ou m'aider.

b) Puisque j'étais seule, personne ne pouvait savoir où j'allais, ce qui me laissait facilement une heure de liberté.

c) Mon médecin avait bien précisé que je devais me remettre au sport pour retrouver des forces.

d) C'était la seule activité physique que je pouvais supporter, le reste m'ennuyant ou me fatigant avant même d'avoir essayé.

e) Ça me permettait de me rendre à la plage au moins une fois par semaine.

f) Cette activité regorgeait de cliché, et dieu savait que j'adorais les clichés.

« I'll take it to the limit, let me show you how, chantonnai-je en murmurant. »

Les rayons du soleil de la côte ouest caressaient mes bras dénudés et mes tibias. Je sentais mes omoplates chauffer, tout comme ma nuque. Je devinais aux passants réagissant à mon passage que la musique était tellement forte qu'eux-mêmes l'entendait. J'aimais la musique forte, même si elle défonçait les tympans, je sentais mieux les paroles résonner dans ma tête, le tempo battre mes tempes, je n'entendais rien d'autre, ni le monde qui m'entourait, ni ma respiration saccadée par la course, ni mon cœur aux pulsions rapides, seulement ces notes, ces voix, ces instruments, ces battements, ces... Vibrations. C'était ça, la musique me faisait vibrer, elle me donnait envie de danser. Ma danse se traduisait par ma course à cet instant, la rotation de mon buste dissimulait mes mouvements d'épaules. C'était agréable. Il était rare que je ressente ce genre de sensation, mais j'étais toujours seule dans ces moments. La solitude était une amie, que je cotoyais chaque jour. Elle dormait au pied de mon lit, mais je m'efforçais de lui claquer la porte au nez. Par chance, ces derniers temps la solitude était absente, elle me laissait, mais j'appréciais de me retrouver seule avec moi-même. Le soleil Californien faisait scintiller l'océan Pacifique. Ce que j'aimais l'océan. Les vagues s'échouant sur les rochers, le sable fin passant entre mes orteils et mes doigts, les hauts rochers et les falaises couverts de verdure au sommet du haut desquels on se rendait compte que nous n'étions rien face à l'horizon. Doran Beach était la plage pour courir par excellence ! On y trouvait d'ailleurs de nombreux joggeurs chaque matin. C'était d'ailleurs là que nous nous étions rendu, Tammy, Claire, Damien, Sébastien, Roy et moi pour déguster une glace le premier jour. Courir sur la table me fatiguait plus que tout, puisqu'à chaque foulée, mes pieds s'enfonçaient un petit peu plus entre les grains. C'était toute une technique de ne pas récolter de sable dans mes chaussures ! Get Back Up finit par laisser place à la voix de Twin Atlantic. Je m'arrêtai alors, face à l'océan. Je transpirais. Mes cheveux, même attachés, collaient à ma nuque. Je devinais que mes joues devaient être rouges, puisque j'étais de ces personnes qui deviennent pour un rien. Je gonflais mes poumons d'air, accélérant ma respiration, tout en posant mes mains sur mes genoux tout en me penchant en avant pour reprendre mon souffle. Je fermai les yeux quelques secondes, puis les rouvris tout en relevant mon visage pour fixer enfin l'horizon. Je me mis à dévisager les flots, les yeux plissés. L'océan m'attirait irrémédiablement. Non pas que je voulais faire marin, pilote de port comme l'était mon grand-père ou encore globetrotteuse, mais j'aimais les balades en mer sur le Fool Boat, le bateau de mon grand-père, ou les longues baignades l'été, les longues marches en solitaire sur le sable lorsqu'il ne faisait pas beau, l'escalade des rochers et des falaises avec mes cousins l'été. J'adorais par-dessus tout le poste d'observation sur le haut de la cote duquel je contemplais souvent l'horizon. Bodega Bay n'était pas une grande ville, elle n'avait même pas d'école, mais ses plages et son côté coupé du monde représentaient tout ce dont j'avais besoin. Je plissai légèrement les yeux et fixai l'océan à m'en faire mal aux yeux. Le ciel était couvert, il ne faisait pas particulièrement beau, ni chaud, mais je n'avais pas encore perdu la chaleur corporelle fournie par la course. Je finis par envoyer valser mes chaussures un peu plus loin sur le sable, puis retirai mes chaussettes. Je défiai quelques secondes encore la mer avant d'avancer jusqu'à ce que l'eau gelée vienne lapée mes orteils. Mes pieds s'enfoncèrent dans le sable fin et humide. J'avançai, jusqu'à ce que la moitié de mes tibias soient sous le niveau de la mer. Le vent marin m'apportait les odeurs maritimes des algues et du sel. L'air iodé gonflait mes poumons.

L'Équilibre d'EvangelineOù les histoires vivent. Découvrez maintenant