Chapitre 32

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Nous remontâmes un escalier en colimaçon, traversâmes un dédale de couloirs, pour finalement déboucher dans le hall d'entrée, désert. Le corps de Serge avait été emporté, la flaque de sang lavée. Nous sortîmes dans la cour du château, sous un ciel rempli de nuages lourds. Nous aurions de la chance si nous échappions à l'averse.

Quand nous atteignîmes le bas des marches du perron, cinq ou six gardes à cheval pénétrèrent dans la cour, de retour de quelque mission sans doute. En nous apercevant soudain, ils talonnèrent leurs montures et se précipitèrent vers nous.

― Hé ! Mais qu'est-ce que ça veut dire ! s'écria l'un d'eux.

― Le capitaine nous a promis qu'elle serait à nous ! gronda un autre.

― Au large ! clama Aubin. Mon frère ordonne sa libération !

― Ah non, elle est à nous ! Lâchez-la tout de suite !

― Aubin, souffla André, ces grosses brutes ne nous écouterons pas. Et leurs cris vont réveiller tout le monde. Réduisons-les au silence tant qu'il en est encore temps.

Aubin hocha la tête. Ils me lâchèrent pour former un demi-cercle devant moi, leurs armes levées. Cela n'impressionna nullement les gardes, qui descendirent de leurs montures pour se jeter sur eux. Un courant d'air glacé souffla dans mes vêtements et mes cheveux, et je pris alors conscience que l'aube venait seulement de se lever. J'avais passé la soirée et la nuit évanouie dans ma cellule. Vaucaussin n'avait donné l'autorisation à son frère de m'emmener qu'au petit matin, mais il pouvait se raviser d'un moment à l'autre. Pour l'instant, toute la maisonnée dormait encore, sauf ces trois gardes qui rentraient sans doute de quelque veille. Et les sentinelles en faction sur les remparts, qui pour l'instant contemplaient la scène avec amusement, certaines que leurs camarades l'emporteraient en un rien de temps.

Aucun des quatre compagnons d'Aubin, fils de la bourgeoisie, n'était formé au combat. André fut le premier à tomber, l'épaule transpercée par l'épée d'un garde. Je remarquai que nos ennemis étaient tous équipés de cette arme qui était normalement un privilège de noble. Face à eux, seul Aubin en possédait une.

Christian se précipita devant André, son poignard brandi, mais le garde, enragé, effectua un moulinet de sa lame qui trancha net le poignet du jeune homme ! Christian tomba à genoux en hurlant, agrippant son moignon sanglant de sa main valide. Paniquée, me voyant déjà perdue, je jetai des regards frénétiques autour de moi. Michel et René bataillaient à mains nues avec le deuxième garde, l'un lui attrapant le bras armé, l'autre le ceinturant dans le dos. Aubin combattait plus conventionnellement avec le troisième, épée contre épée.

Sans réfléchir, suivant mon instinct, je plongeai au sol et attrapai le poignard de Christian. Je hurlai quand ma main se referma sur le manche de l'arme. Si la folle énergie du désespoir suppléait à ma faiblesse, le brusque mouvement venait de rouvrir ma plaie trop fraichement refermée. Le sang se remit à suinter, glissant sur mes robes déjà trop imbibées pour l'absorber. Je serrai les dents, des larmes de douleur aux yeux, mais me relevai néanmoins et me plaçai en position de combat devant Christian, agenouillé, crispé sur son moignon.

Le garde s'arrêta pour rire franchement, à gorge déployée. Sans m'en formaliser, je fis appel à mes leçons de combat et me fendis en avant en visant son ventre. Toujours riant, il sauta de côté pour m'éviter sans peine.

― Allons, je m'en voudrais de t'abîmer davantage, ricana-t-il, il faut que tu sois vivante pour que nous puissions te baiser à notre aise !

J'ignorai ses paroles pour empêcher la peur de s'insinuer dans mon esprit. Je me concentrai sur le prochain coup, et envoyai mon poignard vers son épaule. L'homme leva son épée pour parer ma lame, mais je rompis aussitôt et l'envoyai vers sa gorge. Il recula brusquement pour l'éviter, son sourire envolé.

La Louve écarlate, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant