La première salve du bombardement arriva le soir même, au souper. Le chevalier – ou Henri – avait insisté pour que je dînasse à la table seigneuriale avec sa mère et lui. Le sire de Partencour et sa femme étaient partis dans la journée, laissant la Vieille Mère déçue qu'ils n'aient pas prolongé leur séjour. Elle n'était donc pas dans les meilleures dispositions pour apprendre les fiançailles morganatiques de son fils. Cela dit, comme Henri me le fit remarquer, elle n'aurait jamais été dans de « bonnes dispositions », de toute façon.
― Eh bien, voilà la gueuse que tu t'es choisie ! lança-t-elle dès que j'arrivai dans la grande salle, au bras de mon seigneur.
― Elle sera bientôt ma femme, répondit Henri avec raideur, aussi je vous prie – non, je vous ordonne – de la traiter avec plus de respect.
― Tu m'ordonnes, vraiment ? ironisa-t-elle.
― Parfaitement. Je vous rappelle que ce manoir m'appartient, vous pouvez vous considérer comme mon hôte.
― Tu oserais me chasser ?? s'exclama-t-elle en montant dans les aigus.
― Si je dois choisir entre ma femme et vous, je choisirai de vous loger dans cet hôtel particulier que nous possédons à Rocheflore.
La dame devint écarlate, les lèvres blanches à force d'être pincées. Ses petits yeux bruns lançaient des éclairs.
― Traiter avec respect une souillon, on aura tout vu..., siffla-t-elle avant de se tenir coite.
Pour ma part, je tâchai de ne pas regarder dans les yeux les domestiques qui s'affairaient autour de nous. J'avais un peu honte de ma promotion si soudaine. Je devinais leurs coups d'œil en coin et imaginais déjà les bavardages sans doute peu charitables qui allaient suivre entre eux.
Henri occupa le repas à me décrire ce que serait ma vie dorénavant, tandis que sa mère gardait un silence obstiné. Et j'aurais souhaité que cela continuât ainsi, mais vers la fin du repas sa patience arriva visiblement à bout :
― Peut-on savoir ce qui vous a amenée au manoir ? me demanda-t-elle brusquement, interrompant notre conversation.
― On m'avait dit que vous aviez besoin de renforts pour accueillir vos invités, alors je suis venue me proposer, répondis-je sans me démonter.
― Hum ! Vous proposer à mon fils, voulez-vous dire !
Le chevalier leva les yeux au ciel, mais je refusai de la laisser croire cela.
― J'ai rencontré votre fils peu après et j'en suis tombée amoureuse.
― Amoureuse de son rang, de sa fortune ? insinua-t-elle. Si c'est cela vous vous trompez lourdement, jeune fille. Nous n'avons aucun trésor caché, aucun secret de famille que vous pourriez vendre !
― Mère, cessez ! ordonna Henri.
― Vas-tu te laisser longtemps aveugler par cette intrigante ! s'écria sa mère. Elle t'extorquera tout ce qu'elle pourra, puis te fera passer de vie à trépas pour mieux jouir à son aise de tes biens !
― Il suffit. Vous cessez tout de suite, ou bien...
― Laissez donc, mon cher, intervins-je posément, les joues rouges. Le sentiment d'amour n'a sans doute aucun sens pour vous, Madame. Eh bien apprenez qu'il s'agit du plus pur, du plus noble des sentiments. Or c'est l'amour qui nous réunit, votre fils et moi. Mais je doute que vous puissiez le comprendre.
J'étais restée de marbre sous ses accusations, mais il était hors de question que je me fisse piétiner. Cette petite pique lui apprendrait que je ne me rabaisserai pas devant elle.
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La Louve écarlate, Tome 1
RomanceRoman historico-érotique. Dans la Bretagne du XVème siècle, Mariette est une jeune paysanne, fière, courageuse, indépendante, qui va devenir la maîtresse de son seigneur. Mais de ce fait elle se retrouve soudain mêlée aux complots et vengeances qui...