Chapitre 33

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Je tournai la tête en arrière, suffisamment pour distinguer une dizaine de cavaliers qui se rapprochaient de nous à vive allure. Ils allaient nous rattraper ! Les chevaux de Vaucaussin étaient réputés pour leur vitesse ! Les nôtres venaient également de ces écuries, mais non contents d'être doublement chargés, ils étaient encore fatigués par leur longue nuit.

Je pâlis, de nouveau submergée par le désespoir. Le manoir était encore si loin ! Nous avions tout le temps d'être rattrapés ! Ah ! J'aurais voulu mourir ! Enfin, tout plutôt que de tomber entre leurs sales pattes !

― Nous allons arriver à la forêt des Braconniers, me dit Aubin. Là-bas, tu la vois ?

― Oui !

― Nous n'arriverons pas à les semer, mais peut-être pourras-tu t'y cacher !

― Et vous ? Et les chevaux ?

― Ne t'inquiète pas pour ça.

Il éperonna sa monture de plus belle. Bien que déjà au galop, celle-ci sembla redoubler d'énergie. Je fermai les yeux, à la fois pour les protéger du vent qui me giflait le visage et pour ne plus voir cette réalité qui m'effrayait tant.

La forêt qui marquait la frontière entre les deux domaines se rapprochait, mais nos poursuivants également. Ils gagnaient sur nous de seconde en seconde. Je savais que traverser la forêt et atteindre la seigneurie de Bardogne ne me sauverait nullement. Les gardes noirs avaient hélas l'habitude de parcourir impunément ces terres...

Je ne voyais décidément aucun moyen de leur échapper, hormis réussir à me cacher. Mais d'après ce que j'avais pu voir de la forêt à l'aller, elle n'offrait guère de talus ou de bosquet où se dissimuler. Son terrain était désespérément plat, ses arbres fins et clairsemés.

― Seigneur ! Ils sont sur nos talons ! m'écriai-je.

― Encore un petit effort...

Les gardes n'étaient plus qu'à une centaine de mètres, peut-être un peu plus. Nous franchîmes en coup de vent les frondaisons de la forêt.

― Là ! me cria Aubin. Saute et cache-toi ! Vous autres, continuez, je vous rejoins !

Il tira vivement sur les rênes de son cheval, qui pila net. Ses quatre compagnons nous dépassèrent sans s'arrêter. Ils semblaient éreintés, trempés, et les deux blessés n'étaient pas en meilleur état que moi. Je sautai à terre.

― Que vas-tu faire ?

― Je vais tenter de les retenir, allez file !

― Mais tu ne pourras pas !

― Ne discute pas, cours !!

Je tournai les talons et décampai sans demander mon reste.

Je courus, courus à en perdre haleine, le cœur tambourinant dans ma poitrine, des larmes d'angoisse et de souffrance aux yeux. Aubin ne pourrait rien contre eux, je les entendais d'ailleurs pousser de grands cris, presque sur lui. Je courais toujours, cherchant en vain un endroit où me cacher. Je ne pus m'empêcher de sangloter, sachant combien tout cela était sans espoir. Ils me poursuivraient comme des chasseurs traquent une biche puis l'acculent, après s'être donné le plaisir d'une bonne poursuite en lui laissant l'illusion de pouvoir leur échapper.

― Hé, vous !

Un homme de grande taille, aux larges épaules, courut à ma rencontre pour m'intercepter. Qui était-ce encore ? Ami ou ennemi ? De toute façon je ne pouvais l'éviter. J'étais épuisée, au bord de l'évanouissement, résignée à accepter mon destin.

― Qui êtes-vous ? m'apostropha-t-il. La forêt des Braconniers est interdite d'accès !

― Pitié Messire ! Je suis poursuivie par les gardes noirs !

― Oh.

L'homme sembla saisir la situation en un clin d'œil.

― Par ici.

Il m'attrapa par le bras et m'entraîna jusqu'à la cabane en rondins de bois qui se dressait à quelques mètres de là.

― Entrez ici et ne vous montrez pas, me dit-il en me poussant à l'intérieur.

Sous la poussée, mes jambes sans force se dérobèrent et je tombai lourdement à terre. L'homme était déjà ressorti en fermant la porte derrière lui. Je me tapis dans un coin, apeurée comme une souris.

― Hé là, vous ! Vous n'avez pas vu une fille qui courait ?

Mon sang se glaça. Je n'osai plus respirer.

― Si fait, elle s'enfuyait vers Bardogne, entendis-je l'homme répondre. Vous êtes des gardes de Vaucaussin, n'est-ce pas ? Ignorez-vous que cette forêt vous est formellement interdite ?

― Nous n'avons pas de temps à perdre ! Elle était juste devant nous...

― Si vous ne rebroussez pas chemin immédiatement, j'informerai le comte de Rocheflore que vous avez bravé son interdiction ! Vous savez qu'il ne plaisante pas avec cela ! Votre maître en subira les conséquences. Et sans doute choisira-t-il de vous en faire partager le prix...

― Maudit sois-tu, garde-chasse !

― Tentez seulement quelque chose contre moi, et le comte en sera aussitôt informé ! Je me rends plusieurs fois par semaine à Rocheflore. Que je manque un seul de mes rendez-vous, et le comte saura ce qui m'est arrivé !

Quelques injures et menaces suivirent, qui ne semblèrent pas ébranler le garde-chasse. Il maintint ses positions, leur ordonnant de faire demi-tour.

― Qu'il aille au diable ! s'exclama enfin le garde. Il y a d'autres passages pour se rendre à Bardogne ! Nous allons contourner cette maudite forêt, et la garce ne pourra nous échapper !

Avec un soulagement infini, j'entendis les chevaux s'éloigner et les cris diminuer. Ce poids ôté de mes épaules, je lâchai enfin prise et laissai l'inconscience m'emporter...

La Louve écarlate, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant