Chapitre 17

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Le soir venu, je montai me coucher d'humeur morose. La Vieille Mère était revenue de Rocheflore – hélas trop proche – pour sermonner son fils sur la tenue désastreuse de la maison. Elle avait également assisté au souper, où elle avait laissé libre cours à son aigreur. J'avais pris mon mal en patience, m'enjoignant au calme en attendant qu'elle déguerpisse.

Mais la Vieille avait lancé que ce n'était pas le rôle de la future épouse d'un seigneur de décider du sort d'un condamné, et encore moins de l'appliquer elle-même. Une dame de ce nom devait savoir rester à sa place. Sans compter que le châtiment était d'une sottise ! Quelques jours de prison auraient suffit à le remettre dans le droit chemin, voyons ! Ce n'était pas non plus de sa faute, à ce pauvre homme, si la femme en question lui avait fait des avances autrefois ! À quoi j'avais répliqué, d'un ton calme bien que rouge de colère, que ce n'était pas non plus de ma faute si elle ne mettait jamais un pied dehors et ne comprenait rien à rien.

Le chevalier s'était dressé vivement sur sa chaise en levant les mains pour nous imposer le silence. La Vieille Mère avait ravalé sa langue, se voyant à nouveau menacée d'expulsion séance tenante.

Sur quoi j'étais montée dans notre chambre directement, laissant la mère et le fils entamer une violente dispute dont je perçus les éclats de voix. J'enfilai ma chemise et me glissai entre les draps, peu encline ce soir aux batifolages.

Henri me rejoignit quelques temps plus tard, après avoir remis sa mère en voiture. Comme je restai immobile, rongée par la rancune, il se glissa contre moi et me prit dans ses bras.

― Ton idée était excellente, Mariette, me chuchota-t-il à l'oreille. Cependant je me demande si, à l'avenir, des femmes ne dénonceront pas certains hommes simplement pour se débarrasser d'eux, sans qu'ils soient coupables de quoi que ce soit...

― Tous auront le droit à un procès, comme n'importe quel accusé, répondis-je en me retournant vers lui, sur la défensive. Ils pourront se défendre, faire appel à des témoins. De plus, je pense que je prendrai à part la femme accusatrice pour discuter avec elle et tâcher de voir s'il ne s'agit pas d'une simple machination.

― Comment le sauras-tu ?

― Henri, une femme qui vient de se faire violer n'est pas dans son état normal... Elle tremble, son regard est apeuré, elle ne supporte plus qu'un homme la touche. Elle est marquée, voire traumatisée. Si l'accusatrice est dans un état normal, seulement vindicative, alors il y a fort à parier que ce soit de la comédie.

― Es-tu traumatisée ? me demanda-t-il doucement, alors qu'il me tenait toujours dans ses bras. Supportes-tu que je te touche... ?

Je restai un moment silencieuse, examinant mes émotions, mon ressenti face à lui. Mais son attention, ses caresses m'étaient au contraire d'un grand réconfort...

― Je crois que je m'en souviendrai toute ma vie avec horreur... mais j'ai faim de tes bras, Henri. Serre-moi plus fort, je t'en prie... J'ai besoin de ton amour pour surmonter ce... ce...

Je ne pus aller plus loin, des larmes envahissant mes yeux, les sanglots nouant ma gorge. La terreur ressentie, la panique, l'effroi, revenaient avec force dans mon esprit, m'arrachant un gémissement apeuré. Peut-être bien que j'étais traumatisée, en fin de compte. Ou bien était-ce seulement l'après-coup. Peu importe. Je me nichai contre lui, comme si le contact de son corps, sa force virile, pouvaient me protéger de mes démons. Henri me serra plus fort dans ses bras et me tint ainsi contre lui, tendrement, jusqu'au moment béni où le sommeil nous emporta.

***

Le lendemain, je demandai à mon seigneur la permission de prendre des leçons d'escrime. Cette idée m'était venue au réveil, et ne me quittait plus depuis. Je ne pensais pas être traumatisée, mais le sentiment de mon insécurité s'était ancré profondément dans mon esprit.

J'avais conscience de ma faiblesse, de ma vulnérabilité en tant que femme, dans ce monde où les hommes étaient nos maîtres. Une femme était soumise sa vie durant à son père, son frère ou son époux. Même une duchesse ou une reine n'y échappait pas. Elle ne pouvait prendre aucune initiative, faire aucun achat sans en rendre compte à l'un des trois. Et bien entendu, en tant que « sexe faible », de moindre intelligence, nous étions considérées trop souvent comme des outils de reproduction ou bien de plaisir, dont certains hélas n'hésitaient pas à abuser.

La majorité des femmes, ayant été élevées dans cette esprit, trouvaient cela normal et s'en arrangeaient de leur mieux. Mais le destin m'avait donné une chance en plus. J'appartiendrai toujours au « sexe faible », mais mon futur époux pouvait m'apprendre à me défendre, et me protéger ainsi de certaines agressions. Cette combativité latente qu'Henri avait réveillée en moi en choisissant de m'épouser, allait trouver une nouvelle occasion de s'exprimer.

Henri ne fut pas ravi de ma demande, c'est le moins qu'on puisse dire.

― Une femme, apprendre à se battre ! Mais c'est contre nature !

Je levai les yeux au ciel. Pour un peu, j'aurais cru entendre sa mère.

― Mon amour, je me sentirai beaucoup plus en sécurité si j'étais capable de me défendre moi-même, arguais-je. J'aurais pu repousser Serge, dans les écuries...

― Ma chère Mariette, je ne te laisserai plus jamais seule, je te le promets, assura-t-il.

― Oh, Henri... Malgré tout ton bon vouloir, tu ne seras pas toujours là pour me protéger, tu le sais. Si un sbire de Vaucaussin me tombait dessus, profitant d'une de mes sorties au village ?

― Tu as toujours deux gardes pour t'escorter...

― Ils pourraient être débordés par le nombre. Ma vie n'a pas été menacée jusqu'à présent, mais ce monstre a encore de longs mois pour se manifester...

Il réfléchit quelques instants, avant de se rendre.

― Très bien... Après tout, cela me rassurera aussi. Je demanderai à Tarran de prendre en charge ces leçons, c'est le meilleur bretteur que je connaisse.

Je soupirai de soulagement. J'avais espéré que ce soit lui qui m'apprenne à me battre, mais j'avoue que passer davantage de temps avec le fier capitaine à la joue balafrée, apprendre à mieux le connaître, ne me déplaisait pas non plus...

Tarran fut donc chargé de m'enseigner le maniement du poignard, les lourdes épées étant réservées aux chevaliers. Les gardes eux-mêmes étaient généralement armés de piques ou d'arbalètes. Je me présentai le lendemain à ma première séance vêtue d'une robe sans jupon pour m'encombrer, et assez ample pour permettre de larges mouvements.

― Madame, me dit le capitaine en s'inclinant devant moi, j'espère me montrer digne de l'honneur que vous me faites en me prenant comme professeur.

― Messire, mon époux m'assure que vous êtes le meilleur bretteur de la région, et je n'en doute pas, répondis-je avec un sourire. Si je ne progresse pas, ce ne pourra être que de ma faute...

― Avec une forte motivation on arrive à tout, Madame.

― La mienne est puissante, cela devrait aller de ce côté ! fis-je en riant.

Il me sourit en retour, et me tendit une sorte de long poignard effilé.

― Ceci est une dague, Madame. Sa lame est plus longue qu'un poignard, elle vous permettra une meilleure allonge.

Je pris la dague et la tournai entre mes doigts, curieuse. Son manche était tout simple, sans dorure ni fioriture. Sans doute une arme de soldat, empruntée à l'armurerie. En relevant le regard vers mon professeur, j'aperçus du coin de l'œil une silhouette à la fenêtre de la tour. Mon seigneur assistait à l'entraînement.

― Nous commençons ? demandai-je au capitaine, un sourire conquérant aux lèvres.

La Louve écarlate, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant