Chapitre 19

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Le quotidien reprit le dessus au manoir, agrémenté de mes nouvelles leçons et de quelques cauchemars nocturnes. Les préparatifs du mariage se précisaient, la cérémonie étant programmée pour la semaine suivante. Cependant l'humeur n'était point à la liesse. Les gardes noirs nous gratifièrent de plusieurs incursions : une grange remplie de blé fut brûlée, une villageoise et sa fille furent violées sous les yeux du mari, lui-même tabassé. Ces démons semblaient animés d'une rage vengeresse qui faisait froid dans le dos. Pour ma part, je n'avais pas encore été victime de tentative d'assassinat, mais je ne me déplaçais plus sans une dague à ma ceinture.

Ce climat de méfiance permanente durait encore quand une villageoise de Trémeneur fit irruption un après-midi au manoir. J'étais occupée à recopier de nouveau avec application un passage de la Bible, dans notre chambre de la tour. Mes leçons avec le père Geoffroy étaient passées de deux à une par semaine, mais je continuais à travailler par moi-même. Je commençais cependant à me lasser de ne recopier que des textes en latin, et j'envisageais de demander à Henri s'il n'y avait pas quelque part dans la demeure un livre en gallo, notre langue. Marie-Jeanne vint me tirer de mes réflexions.

― Dame Mariette ?

― Je t'ai dit de m'appeler simplement Mariette, tant que je ne suis pas mariée, répondis-je en souriant.

― Si vous voulez... Messire le chevalier vous demande au plus vite dans la salle d'audience.

― Vraiment ? Sais-tu à quel propos ?

― Non, mais Messire avait l'air très en colère quand je suis entrée à son appel...

Deux à trois fois par semaine, Henri recevait en effet les paysans dans la grande salle du manoir pour entendre leurs plaintes ou requêtes. Inquiète, je suivis Marie-Jeanne par la porte qui communiquait entre la tour et le bâtiment principal, puis me dirigeai vers l'escalier qui descendait dans la salle de réception. À ma grande surprise, celle-ci était vide. Il ne restait que le chevalier en compagnie d'une paysanne.

― Où sont passés les villageois ? demandai-je légèrement, tâchant d'ignorer l'air menaçant de mon seigneur.

― J'ai fait évacuer la salle, me répondit-il durement. Ce que j'ai à te dire ne regarde que nous. Tu peux nous laisser, Marie-Jeanne.

Celle-ci s'inclina et disparut par les cuisines.

― Cette femme prétend venir de ton ancien village, dit-il en désignant la paysanne.

En effet, je reconnus avec une surprise encore plus grande Fanchon, la sœur aînée de Pierre, mon ancien fiancé.

― C'est vrai, répondis-je. De quoi s'agit-il ?

― Pouvez-vous répéter devant elle ce dont vous l'accusez ? ordonna sévèrement Henri à la femme.

La visiteuse ne se démonta nullement. C'est avec un aplomb parfait qu'elle lança :

― Chacun sait à Trémeneur qu'Mariette Pouchard, elle aime les hommes. Elle en a d'ailleurs déjà honoré plusieurs de ses faveurs.

― Quoi ! Mais c'est faux ! m'exclamais-je, abasourdie. Comment peux-tu dire ça ?

― Ce sont les faits. Beaucoup se demandaient pourquoi qu'Mariette, elle était toujours pas mariée. Jusqu'à présent, elle a r'poussé toutes les demandes qui lui avaient été faites. Même mon pauv'frère, il y a cru quand elle lui a promis sa main... Hélas, elle s'est bien jouée de lui ! C'était qu'une ruse pour coucher avec lui, comme pour les autres !

― Tu es folle, je n'ai jamais couché avec personne !

― Messire, reprit Fanchon à l'adresse d'Henri, est-ce que Mariette, elle était vierge quand vous l'avez... connue ?

La Louve écarlate, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant