Chapitre 30

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Pour ma part, je fixai intensément le dos de mon cavalier pour éviter de croiser leurs regards. L'angoisse me tordait l'estomac. Ces hommes étaient bien assez nombreux pour retenir un cheval. Maudit soit cette petite merde de valet ! Car je n'avais aucun doute sur la personne qui les avait prévenus. Même mort, il aura sa revanche quand les gardes s'empareront de moi ! Vaucaussin allait m'enfermer dans une cellule en attendant que je mette mon enfant au monde, et si nous ne succombons pas tous les deux à l'accouchement, il se chargera lui-même de nous régler notre compte ! Des larmes de désespoir me vinrent aux yeux.

― Capitaine, laissez-les passer !

L'ordre péremptoire me fit redresser la tête. La dame de Vaucaussin venait de sortir sur le perron et foudroyait les gardes du regard.

― Madame, nous agissons dans l'intérêt de notre seigneur, répliqua le capitaine avec aplomb.

― Est-ce mon fils qui vous a ordonné de les retenir ?

― Non, mais nous pensons...

― Un garde ne pense pas, il obéit aux ordres ! Vous n'avez pas d'ordre les concernant, hormis celui que je vous donne !

― C'est que, Madame, Monseigneur risque d'être fort en colère si nous la laissons filer.

― Laissez-les partir immédiatement, ou bien je saurai convaincre mon fils que vous avez porté la main sur moi ! Et là, croyez bien qu'il aura des raisons d'être en colère !

Le capitaine sembla perdre de son assurance. Son acolyte avait nettement blêmi.

― N'ai-je pas été assez claire ? lança la dame, en commençant à descendre les degrés.

Son approche arracha un grognement au capitaine. Aubin n'attendit pas sa réponse. Il profita de ce flottement pour talonner notre cheval, qui s'élança aussitôt au galop à travers la cour. Je poussai un cri de surprise et ceinturai vivement le jeune homme. Les gardes s'écartèrent précipitamment de notre passage, mais hélas nous n'allâmes pas loin : nous n'avions pas encore traversé la cour qu'une dizaine de cavaliers déboulait par le pont-levis du château. Sinistre silhouette vêtue de noir, le comte de Vaucaussin venait en tête.

Ne pouvant forcer un passage trop encombré, Aubin tira sur les rênes. En même temps, le capitaine se précipitait vers son seigneur en me pointant du doigt.

***

J'aurais tant donné pour que tout cela ne soit qu'un cauchemar. Pour me réveiller en hurlant, trempée de sueur, dans l'obscurité de notre masure de Trémeneur. Jacquot m'aurait flanqué un coup de coude en guise de protestation, puis se serait rendormi. Hélas, j'étais bel et bien prise au piège du monde réel.

Ma rencontre avec le chevalier de Bardogne fut la plus grosse erreur de ma vie. Pourquoi avais-je tant voulu me faire embaucher au manoir ? Pour gagner quelques pièces en plus ? Quelle stupidité ! L'appât du gain facile, la tentation d'améliorer un peu notre misérable quotidien était trop attirante. Mais pourquoi m'en suis-je souciée ? Bientôt cela ne m'aurait plus concernée ! J'allais quitter la masure, quitter cette misère pour épouser Pierre, fils d'un riche fermier, qui m'aurait mise définitivement à l'abri du besoin ! Pourquoi ai-je tout gâché ? J'avais la chance incroyable de pouvoir échapper à ma condition, mais il a fallu que je voie plus grand, beaucoup trop grand, en jetant mon dévolu sur le chevalier en personne ! Pourquoi, moi qui ai toujours été la raison même, me suis-je montrée si sotte ? Pourquoi l'amour est-il si aveugle ?

Parlons-en, de l'amour ! Qu'en restait-il, aujourd'hui ? Henri m'avait abandonnée, chassée de chez lui sans un remord. L'affection que je lui portais en avait été sérieusement entamée, et quant à l'amour, j'ignore si j'en ressentais encore si peu que ce soit... Et pourtant ! J'aurais donné tout l'or du monde, à ce moment précis, pour me trouver face à lui, pour qu'il me serre dans ses bras et me chuchote des mots réconfortants, m'assurant que tout cela n'était qu'un mauvais rêve, que c'était fini, que tout irait bien désormais...

La Louve écarlate, Tome 1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant