Mes nouveaux enseignements commencèrent dès le jour suivant avec une leçon d'équitation. Des cours de diction et de vocabulaire suivaient, afin que la paysanne que j'étais pût s'exprimer comme une dame. C'est grâce à cela que je peux écrire mes souvenirs aujourd'hui, dans un langage adéquat. À cela s'ajoutaient la lecture et l'écriture, que j'allais travailler deux fois par semaine chez un prêtre de Rocheflore, le père Geoffroy. Henri avait sollicité ce dernier car ceux de Bardogne étaient illettrés, comme la plupart des curés de campagne. Ils récitaient à longueur de messe des litanies apprises par cœur au séminaire. Le père Geoffroy, plus instruit, me servait donc de maître dans ce domaine.
Quelques semaines s'écoulèrent, pendant lesquelles je me familiarisai avec les habitudes du manoir. Ce dernier n'hébergeait que trois domestiques à temps complet, Madeleine, Marie-Jeanne et Serge, ainsi que deux palefreniers pour les chevaux des gardes. J'avais l'habitude de m'habiller et de faire ma toilette seule, ce qui arrangeait bien Marie-Jeanne, occupée par ailleurs. En revanche, je devais malheureusement m'accommoder de la Vieille Mère, qui restait obstinément aussi glaciale et méprisante qu'au premier jour.
Et puis vint ce matin où je me découvris enceinte. Les premières nausées arrivèrent alors que je prenais ma leçon de lecture avec le père Geoffroy. Après plusieurs semaines d'études intensives, je parvenais à peu près à déchiffrer les mots écrits, mais les reproduire se révélait plus compliqué. J'étais donc occupée à recopier soigneusement un verset de la Bible ouverte devant moi, quand un haut-le-cœur me prit soudain. Je bondis sur mes pieds et sortit en courant du presbytère, juste à temps pour me soulager à l'extérieur.
J'étais encore penchée en avant, surprise par ce soudain accès, quand le prêtre me rejoignit.
― Eh bien Mademoiselle, quelque chose ne va pas ?
Puis, avisant les traces répandues juste devant sa porte :
― Seriez-vous malade ? Dans ce cas, je vais appeler votre escorte afin qu'elle vous raccompagne...
― Merci, mon père, répondis-je lentement, encore un peu barbouillée. C'est la première fois que cela m'arrive, je suis vraiment confuse...
Le père Geoffroy me regarda d'un air songeur, sourcils froncés.
― Il est vrai, n'est-ce pas, que vous et messire le chevalier vous livrez aux plaisirs de la chair avant votre mariage ?
― Oh mon père, nous avons prévu de nous unir le mois prochain ! dis-je précipitamment. Nous ne faisons qu'anticiper un peu sur notre future vie commune...
― Tout le monde ne verrait pas les choses de cette façon, mais peu importe. Que vous régularisiez votre situation est la seule chose qui compte. Car il faut à tout prix que l'enfant qui s'annonce voie le jour au sein d'une union dûment bénie par notre Seigneur.
― L'enfant qui s'annonce ?
― C'est fort possible. Heureusement, vous serez mariés avant sa naissance.
Je restai un instant interdite, sonnée par cette nouvelle. Certes, je m'y attendais plus ou moins depuis que j'entretenais une liaison avec Henri, mais j'avais du mal à réaliser que cela m'arrivait bel et bien. Je commençai à envisager les longs mois qui allaient suivre, ponctués de nausées, de malaises, de fatigue... Mais surtout, il y avait l'accouchement. J'avais déjà assisté à quelques-uns dans mon village... et les douleurs atroces qui transperçaient la pauvre mère, le risque de mortalité, me terrifiaient.
― Mademoiselle, vous sentez-vous bien ? Vous êtes bien pâle, tout à coup..., fit le prêtre avec sollicitude. Venez, rentrez vous rafraichir en attendant que j'appelle vos gardes. Il y a un pichet d'eau sur la table pour vous laver.
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La Louve écarlate, Tome 1
RomanceRoman historico-érotique. Dans la Bretagne du XVème siècle, Mariette est une jeune paysanne, fière, courageuse, indépendante, qui va devenir la maîtresse de son seigneur. Mais de ce fait elle se retrouve soudain mêlée aux complots et vengeances qui...