Les paupières d'Europe papillonnaient, s'ouvrant un peu plus à chaque battement comme lorsqu'on se refuse à sortir d'un rêve merveilleux. Une douce brise aux senteurs florales lui effleurait le visage comme une caresse.
Le jeune garçon reprenait lentement conscience du dossier de la chaise en rotin contre lequel il s'appuyait, du coussin moelleux sur lequel il était assis mais ce fut finalement le croassement grave d'un oiseau, brisant l'harmonie des pépiements qui lui parvenaient jusque là aux oreilles, qui lui fit ouvrir totalement les yeux et ramena complètement son esprit dans le petit pavillon en bois.
Il savait très bien qu'il n'avait pas bougé de cette petite pièce, construite au fond du parc et entourée de parterres de fleurs soi-disant sauvages, mais comme à chaque fois il avait l'impression de revenir d'un très long voyage. Depuis qu'il était tout petit les histoires de son grand-père lui faisaient toujours cet effet-là, celui d'un périple mental à travers le temps.
Dépliant ses jambes engourdies d'avoir été gardé repliées sous lui durant l'histoire, il jeta un regard à son grand-père, assis dans son propre fauteuil comme s'il présidait une assemblée de la plus haute importance, le dos bien droit et les mains posées sur les accoudoirs.
Il avait l'air serein et, si ses yeux n'avaient pas été ouverts, on aurait presque pu le croire endormi. Lorsqu'il adressa à son petit-fils un sourire, les rides autour de sa bouche et de son nez se creusèrent, le vieillissant un peu plus même si ses yeux, d'un bleu vif et clair tel un étang gelé, semblaient, eux, avoir conservé toute leur jeunesse.
En les voyant, si brillants, pétillant presque de joie, l'esprit d'Europe ne put s'empêcher de voleter vers des yeux semblables, ceux de sa mère, qui animaient un visage un peu banal pourvu d'un nez trop long et fin, le rendant presque beau.
Au souvenir de ces traits, sa respiration s'accéléra et des larmes commencèrent à couler sur ses joues tandis que sa bouche se tordait, bientôt elle laisserait sortir des gémissements plaintifs.
Baissant la tête par honte de son comportement qu'il qualifia intérieurement de réaction de bébé, il vit quelques gouttes tomber sur ses poings fermés, posés sur ses cuisses.
Au visage de sa mère se mêla celui d'un homme un peu sec et nerveux, bougeant sans cesse de manière peu harmonieuse et faisant des plaisanteries n'amusant que lui mais qui savait mieux que personne comment fabriquer une fusée avec deux morceaux de bois et une ampoule. Son père.
Les deux profils se mêlaient dans son esprit comme deux fantômes, il avait la curieuse impression que chacun de ses souvenirs les concernant était flou, incomplet, comme s'ils dataient tous d'une époque ancienne, et pourtant cela ne faisait que quelques jours qu'ils étaient...
« Seljord ! Mais regarde un peu ce que tu as fait ! Non mais on n'a pas idée de raconter ce genre d'histoires, ce n'est pas du tout le moment de lui rappeler que notre bonne vieille Terre s'est complètement détraquée, nous forçant à fuir ! »
Le vieil homme ouvrit la bouche pour se défendre, argumenter que ce n'était pas la faute de son récit et, aussi, réconforter son petit-fils mais un regard noir, dans tous les sens du terme, et sévère l'empêcha de parler.
« Chut, ça va aller, c'est rien mon lapin. Pleure un bon coup et après ça ira mieux, faut pas avoir honte de pleurer, comme me le disait ma mère. Ça fait du bien et après tout ton chagrin sera parti. Tiens, mouche-toi un peu, mon cœur. »
Europe bafouilla un merci et, après s'être mouché dans un bruit de trompette, s'essuya les yeux et adressa un petit sourire tremblant à Luna qui afficha une moue satisfaite avant de lui tapoter la joue et de lui remettre une de ses mèches de cheveux en place.
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Nouvelle Terre:
Science FictionNous sommes 100 ans dans le futur et l'Homme vit dans une immense station spatiale du nom de Nouvelle Ère. Là bas un garçon de dix ans du nom d'Europe écoute d'un air émerveillé les histoires de son grand-père et de deux autres personnes âgées: Luna...