Chapitre 5, Partie 1:

91 18 10
                                    


Un, deux, trois.

Assis dans son fauteuil, les genoux repliés sous son menton et le regard fixé sur un point n'ayant aucune importance, Europe comptait ses battements de cœur pour éviter de faire de même avec les personnes présentes.

Quatre, cinq, six.

Il en avait manqué un.

Ou peut-être deux.

Cet exercice équivalait à dénombrer les battements d'ailes d'un colibri en plein vol ; c'était fastidieux et le résultat final était truffé d'erreurs.

Sept, huit, neuf.

Malgré lui, son regard dériva vers son grand-père et il rata au moins dix battements.
Lui aussi avait le regard dans le vide, peut-être était-il concentré comme son petit-fils sur les palpitations de son muscle cardiaque. Non, il avait l'air trop absent pour cela. Alors peut-être était-il resté coincé dans le récit de son souvenir si abruptement interrompu, peut-être était-il encore en train de se raconter l'histoire à lui-même.

Dix, onze, douze.

Europe tenta de se concentrer de nouveau sur ce bruit interne, rapide, régulier et rassurant, mais il n'y arrivait plus. Combien en avait-il manqué ? Vingt ? Trente ? Cent ? Et au fond, était-ce si grave que cela ? Il comptait pour ne pas penser, pas pour une expérience scientifique officielle et demandant une précision militaire.

Il compta soixante nouveaux battements en ce qui lui sembla être à la fois une seconde et l'éternité puis son attention dériva à nouveau, pas vers Seljord, mais vers ce qu'il ne voulait pas regarder.

La petite cuisine. Et surtout les huit personnes y étant attroupées.

Huit, cela peut être peu et énorme à la fois.

Huit personnes dans une salle de classe, ce n'était presque rien et cela voulait souvent dire que les vacances approchaient.

Huit personnes à une fête d'anniversaire, c'était déjà bien et presque assez pour parler d'une grande fête.

Huit personnes pour jouer aux échecs, c'était beaucoup trop, un quart de ce nombre aurait suffi à pouvoir mener une partie.

Et huit personnes autour d'une seule malade ?

Europe ne savait pas.

La cuisine était petite, Luna était frêle alors cela semblait aussi stupide qu'être huit pour disputer une partie qui pouvait se jouer à deux.

Mais s'il arrivait quelque chose, quelque chose de grave, alors ce nombre deviendrait aussitôt logique.

Toute la question était donc de connaître la gravité de l'état de Luna et pour cela le garçon ne savait pas quoi faire.

Son grand-père lui avait brièvement expliqué qu'elle s'était évanouie et il n'avait même pas compris ce mot. Pour lui, elle était simplement tombée sur le sol et depuis elle n'avait pas rouvert les yeux. Il n'avait jamais vu personne se comporter comme cela, d'ailleurs les malades étaient en voie d'extinction à Nouvelle Ère.

Les progrès de la médecine et de la technologie réunis avaient permis de créer des vaccins et des traitements de plus en plus performants et aujourd'hui quelques piqûres disséminées dans toute une vie permettaient de ne jamais attraper ne serait-ce qu'un rhume. Et puis l'air était purifié tous les jours et débarrassé de toutes les bactéries et impuretés pouvant nuire à la santé des hommes mais aussi des bêtes et des plantes.

Nouvelle Terre:Où les histoires vivent. Découvrez maintenant