Fabulation :

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Mon enfance fut rythmée par les récits de ma mère comme la tienne l'est désormais par les nôtres. Pour beaucoup de mes amies, l'histoire ne venait qu'au moment du coucher mais pour moi chaque événement du quotidien pouvait être annonciateur d'une digression narrée d'une voix de maître. J'aimais ces récits aux allures de conte où la réalité s'entremêlait si bien à la fiction que les deux ne semblaient faire qu'un.

Mais parfois la bouche de ma mère ne s'ouvrait pas pour me parler de quelques fables ou mythes mais pour me décrire un souvenir bien précis et si clair désormais dans mon esprit que j'ai l'impression qu'il fait partie de moi. J'espère qu'un jour nos histoires seront si claires dans ton esprit que, comme moi avec celle-ci, tu auras l'impression de ne faire qu'un avec elles.

Ce morceau de mémoire, je ne sais pas à quel moment ma mère me l'a raconté pour la première fois mais j'ai l'impression que c'était très tôt dans ma vie, alors même que je ne comprenais pas encore le langage parlé. Et comme elle n'est plus là aujourd'hui pour te le narrer, c'est à moi de te le raconter.

***

Figure-toi un décor bien simple, une petite salle aux murs blancs, à la lumière crue et à l'odeur forte de produit d'entretien. C'est dérangeant et cela pique le nez mais c'est obligatoire et gage de propreté alors il faut le supporter. Il n'y a rien dans cette pièce à part un lit à l'allure

d'instrument de torture avec un drôle d'harnachement métallique au niveau des pieds qui luit de façon inquiétante dans la lumière blanche. Nulle part tu n'arrives à trouver quelque chose pour distraire ton regard de ce drôle de matériel jusqu'à ce qu'il glisse doucement vers le hublot.

Ce n'est pas grand-chose, juste un petit cercle noir déchirant la blancheur des murs. Il ne laisse même pas passer la lumière du soleil ; normal, nous ne sommes pas sur Terre mais quelque part dans l'espace. Mais il n'est pas si loin, cet amas de roches flottant dans le rien, car le voyage n'a pas débuté depuis très longtemps. Peut-être même qu'en passant ta tête par le hublot et en te penchant, tu pourrais l'apercevoir, flottant dans le vide, tout bleu et vert.

Mais revenons dans la salle et observons, car elle n'est pas vide ; je ne t'ai juste pas encore présenté ses occupants, deux femmes et un homme en blouse blanche qui s'affairent autour du lit. Leurs gestes trahissent un certain affairement mais leurs yeux s'efforcent de ne montrer rien d'autre qu'une chaleur rassurante.

C'est alors qu'un cri retentit. Tu n'en as sûrement jamais entendu de tel et il serait difficile de te le décrire fidèlement, mais c'était quelque chose de très animal et humain en même temps, un mélange de douleur et d'effort, un son venant du fond de l'être et ne pouvant être retenu.

Approche-toi doucement, de toute manière dans cette scène tu es un fantôme alors qu'importe que tu sois discret ou non, personne ne t'entendra ou ne te verra. Approche-toi du lit et observe.

N'embrasse pas ce tableau comme un tout mais comme un puzzle. Prends la sueur dégoulinant sur la peau, les cheveux blonds attachés en un chignon lâche, les yeux bleus brillant de détermination et les muscles tendus pour en faire une image cohérente. Celle d'une jeune fille — on ne peut pas encore l'appeler femme malgré le fait qu'elle soit en train de donner la vie — à la peau pâle et au ventre distendu par ce bébé ne voulant pas naître.

Ferme tes paupières et laisse filer le temps.

Un dernier cri retentit et un bruit mou parvient à tes oreilles, c'est la tête de la jeune mère tombant sur les oreillers, elle est épuisée. Un braillement déchire la pièce, celui d'un être venant pour la première fois de se gorger d'air. Tu peux rouvrir les yeux.

Le bébé est minuscule mais tète avidement le sein de sa mère.

A chaque fois qu'elle me parlait de cet instant, elle me dépeignait comme magnifique avec une peau rosée aussi douce que du velours, des yeux aussi noirs que la nuit et quelques cheveux folâtres sur le crâne. Et j'y ai cru, à ce poupon idéal, jusqu'à ce que je tombe sur cette photo me montrant rouge, fripée, la paupière tombante et le crâne chauve et bossu. Je ne me suis embellie que plus tard.

Mais revenons dans la pièce où le bébé continue son premier repas tandis que le regard de sa mère dérive lentement vers le hublot. Un astre pâle troue la noirceur de l'espace et elle ne peut s'empêcher de le regarder. Elle qui ne l'avait vu que du bas de son sol terrestre, elle en voit désormais chaque monticule et chaque creux et a l'impression qu'il lui suffirait de tendre le bras pour pouvoir le toucher.

Une question parvient à ses oreilles et aux tiennes, retiens ta curiosité, tu auras la réponse dans un instant car, ayant parfaitement entendu, la jeune mère baisse son regard vers le bébé désormais endormi sur sa poitrine et, après un bref baiser sur son crâne, chuchote :

« Luna, elle s'appelle Luna. »


Hey!

Un petit chapitre qui ne paye pas de mine mais qui aura son importance plus tard dans l'histoire!!

J'en profite pour vous dire que désormais je posterais le vendredi soir :)

Nouvelle Terre:Où les histoires vivent. Découvrez maintenant