Chapitre 8, Partie 1:

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Europe était plié en deux dans une position que des yeux extérieurs auraient sans doute jugée inconfortable. Genoux ramenés jusque sous le menton, dos arrondi comme celui d'un chat, yeux à quelques centimètres d'un carnet posé sur une petite table et corps en entier penchant dangereusement vers l'avant, incliné comme le fut jadis une fameuse tour d'un pays aujourd'hui disparu.

Son visage exprimait une concentration extrême et on aurait pu le croire en train de résoudre un problème aussi complexe que la manière dont fut créé l'univers. Ses yeux paraissaient étrangement lointains mais parfois ils semblaient revenir à la réalité, comme s'ils ne savaient pas très bien s'ils devaient se perdre dans un monde n'appartenant qu'à leur propriétaire ou s'ils devaient au contraire rester concentrés sur le carnet. Les oreilles, elles, avaient pour leur part décidé depuis longtemps d'occulter le monde extérieur et cela ne pouvait être qu'une bonne chose.

Autour du garçon fusaient des rires et des cris qui s'entrecroisaient comme des balles sur un champ de bataille. Parfois un prénom était hurlé et l'on pouvait connaître le destinataire de telle ou telle phrase mais bien souvent les mots étaient lancés en l'air à qui voudrait bien les entendre et y répondre. Dans ce brouhaha on pouvait presque voir les mots, leur donner la forme de nuages colorés sortant de la bouche des enfants.

Les plaisanteries se faufilaient sur les bouches, les étirant en des sourires, les chamailleries se glissaient dans les veines pour échauffer les sangs, les secrets, aidées de mains formant une coupole, s'insinuaient dans les oreilles. Mais rien ne parvenait jusqu'à Europe, sa place était si silencieuse qu'on aurait presque pu croire qu'il avait formé autour de lui une muraille invisible empêchant tout son de passer.

Il était tranquille et éloigné des autres comme c'était le cas chaque fois qu'il partait en sortie avec sa classe et cela ne le gênait en rien. Avant il avait fait partie des hurleurs, de ceux interpellant à tout bout de champ mais aujourd'hui ce n'était plus le cas.

Lors de sa première excursion avec cette nouvelle classe il avait tenté de prendre part à ce joyeux chaos mais très vite il s'était retrouvé au centre des tirs. Les questions tombaient sur lui sans lui laisser aucun répit, il n'avait ni le temps de répondre, ni celui de respirer et à la fin il n'arrivait même plus à comprendre ce qu'on lui demandait.

Depuis ce jour il avait décidé qu'il se tiendrait à l'écart et cela aurait pu être le cas cette fois-ci aussi mais l'un de ses camarades le bouscula brusquement, brisant sa concentration et la mine du crayon avec lequel il écrivait.

Europe ne savait pas vraiment ce qui l'agaçait le plus : la trace grisâtre sur son cahier qui rendait sa phrase illisible ou bien l'expression de son camarade qui, les yeux fixement plantés dans les siens, semblait attendre quelque chose de lui.

« Bon, tu la ramasses ou quoi ? »

Il cligna des yeux avant de les laisser glisser vers le sol où se trouvait un petit rectangle de carton bleu qu'il observa un instant. Il était sur le point de se pencher pour la récupérer lorsque le garçon le poussa rudement et le fit de lui-même, sans doute lassé d'avoir attendu durant quelques longues secondes.

« C'est quoi ? »

Europe pencha la tête pour mieux voir l'objet et plissa les yeux. Il était certain d'en avoir vu durant la récréation. Après un instant de réflexion il se souvint avoir vu beaucoup de garçons et de filles jouer avec ces cartes représentant toutes une créature plus ou moins étrange.

« T'as jamais joué à ça ? demanda l'autre garçon dont l'air oscillait maintenant entre la moquerie et l'incrédulité. 

— Non. Je peux voir ? »

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