Dimanche 14 février
« C'est.. c'est mon client. »
Les mots tournent en boucle dans sa tête. Elle n'a pas su comment le formuler autrement.
Comment expliquer à ces gens qu'elle ne connaît que depuis quelques jours ce contrat qui la lie à Bastien ?
Comment leur expliquer cette idée perverse qu'il a eu de profiter de sa faiblesse et de la pauvreté de sa famille pour l'utiliser pour assouvir ses moindres désirs ?
Comment leur expliquer les conséquences qu'aurait eu une rupture de contrat ?
Honteuse du malaise qu'elle a créé, Agathe se rue dans la cuisine à l'arrière du bus, tirant le rideau occultant dans son dos.
Elle passe ses mains moites sous l'eau fraîche et s'asperge généreusement le visage pour tenter de retrouver ses esprits. Le cœur battant à tout rompre elle finit par s'asseoir car ses jambes ne la tiennent plus.
Et là les larmes montent sans crier gare. Des sanglots la parcourent de plus en plus violemment sans que rien ne puisse les arrêter.
Elle sait qu'on peut l'entendre de l'autre côté du rideau mais elle ne peut empêcher la tristesse de sortir de toutes parts.
Alors elle laisse son corps s'exprimer dans un torrent de larmes dévastateur.
* * *
《 - Bonjour Rachel, est-ce qu'on peut te parler cinq minutes ?
Le ton d'Emilie est posé et se veut amical. Lou est à ses côtés, tordant nerveusement ses mains dans son dos.
Agathe, elle, est finalement restée dans le bus en compagnie de Grégoire, trop chamboulée par les événements.
En face d'elles se tient une grande fille plantureuse aux cheveux rouge vif. Elle a un visage sympathique qui met tout de suite ses deux interlocutrices en confiance pour leur mission.
- Bien sûr, vous voulez entrer ?
Émilie répond prudemment:
- Non ça ne sera pas long, on ne voudrait pas déranger.
Elle devine la présence rassurante des garçons et de Bob derrière elle, cachés dans la vaste végétation qui encadre la maison.
- Je vous écoute.
Rachel leur accorde un sourire bienveillant en attendant une réponse.
Émilie bredouille quelque chose en jetant un œil perdu à sa complice qui fixe ses pieds avec intérêt.
« Merci du soutien ! »
- Alors voilà, commence la bimbo en tentant de maîtriser les trémolos de sa voix. Je m'appelle Émilie, et voici Lou.
Cette dernière hoche la tête en lui adressant un petit sourire crispé.
- Tu as déjà rencontré notre mentor, Bob, l'autre jour. Et nous sommes là pour te convaincre de nous rejoindre.
- Hors de question, j'ai déjà refusé et je ne changerai pas d'avis.
- S'il-te-plaît, laisse-moi finir. Je ne sais pas exactement ce qu'il t'a raconté mais tu dois savoir que nous sommes dans le même cas que toi. Nous faisons toutes les deux partie des seize personnes qui possèdent des dons hors du commun. J'étais comme toi au début, je lui ai claqué la porte au nez. Mais je me suis vite rendue compte que la meilleure chose à faire était de le suivre, et c'est le choix le plus judicieux de toute ma vie. Et surtout, je pense que le meilleur reste à venir alors je ne regrette vraiment pas.
Lou sourit en l'entendant parler ainsi. La vérité est quelque peu déformée mais son discours sonne juste aux oreilles de Rachel.
Celle-ci soupire et secoue ses longs cheveux rouges. Elle est en plein dilemme interne.
- Vous y croyez vraiment à toutes ces histoires ?
Les deux complices échangent un demi sourire soulagé. Elle n'a pas encore pris de décision, ce qui est bon signe.
- Bien sûr! s'exclame Émilie avec ferveur, bien décidée à convaincre la jeune femme qui leur fait face. Nous avons beaucoup progressé dans nos recherches depuis le début du voyage, et Bob a promis qu'on commencerait bientôt les entraînements. Mais il est évident que tout ce qu'il t'a raconté est vrai, nous en sommes tous convaincus.
- Et votre vie d'avant ne vous manque pas trop ? Votre famille, vos amis ?
Émilie esquisse un sourire et ouvre la bouche pour répondre mais Lou la devance.
- Mon frère jumeau fait partie des Seize donc il est avec nous, mais je crois qu'on a tous plus ou moins réussi à emmener quelque chose qui nous rappelle notre famille, Agathe est venue avec son petit frère et son chat par exemple. Et puis on crée des liens forts entre nous alors ça nous aide à compenser le manque de notre famille. Si cela peut te rassurer, nous sommes tous dans le même cas, donc on se soutient mutuellement.
Les cheveux rouges de Rachel volettent autour de son visage concentré.
- J'aimerais parler à mes parents. Je vais venir avec vous, je sens au plus profond de moi que c'est ce que je dois faire. Mais d'abord je vais avoir besoin de les persuader que c'est inévitable, car j'ai une famille nombreuse et j'ai peur de ce qu'il pourrait arriver si je ne suis pas là pour aider ma mère à gérer les enfants. Et surtout j'ai besoin de leur dire au revoir.
Ses deux interlocutrices hochent la tête, compréhensives.
- Je vais te donner l'adresse du parking où nous sommes garés et le minimum d'affaires que tu dois emmener, lui répond Émilie, ravie de la tournure que prennent les événements. Nous partirons dès que tu seras là. Ne prends pas de choses qui prennent de la place, et pas besoin de portable ou d'ordinateur, tout est à disposition dans le bus.
- Merci, murmure simplement Rachel, soulagée que cela soit si simple.
Après de dernières recommandations, les deux jeunes filles s'éloignent le coeur léger, avec de grands signes de mains.
- Je suis impressionnée, déclare Lou timidement. J'ai découvert une nouvelle facette de toi beaucoup plus agréable aujourd'hui. Tu étais sincère?
La bimbo baisse la tête pour masquer l'émotion vive qui la traverse. Elle bredouille:
- J'ai exagéré bien sûr, mais je pensais réellement ce que j'ai dit. En dehors de cette garce d'Agathe je vous apprécie tous plus ou moins. J'espère juste que les prochains seront des mecs parce que je me lasse vite !》
La petite blonde réprime un sourire en s'éloignant. Son prochain objectif est de tenter de réconcilier les deux ennemies avant qu'elles ne passent le point de non retour et que l'ambiance dans le bus ne devienne intenable.
Mais la tâche ne sera pas facile..