Igor et Franck

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- Igor et Franck étaient attablés autour d'une bière. Les deux hommes se connaissaient depuis longtemps, et ils étaient inséparables.
Franck avait été, en quelque sorte, le parrain d'Igor lorsque ce dernier rejoignit la France dans les années 70. Il avait accueilli, le premier jour de son arrivée à l'hôpital, ce jeune médecin Russe, parlant à peine français. Ils    s'étaient tout de suite appréciés.
Franck était de six mois son cadet et Igor l'avait choisi pour être son témoin de mariage.
- Tu sais Igor, je me souvient comme si c'était hier, de ton premier jour à l'hôpital. Tu portais un bouc et des petites lunettes rondes, et du haut de ton mètre quatre vingt dix, on ne pouvait pas te perdre de vue !
- Moi aussi, ça me fait tout drôle quand j'y repense. J'avais du mal à aligner deux mots de français, on communiquait à l'aide de schéma pour partager les premiers dossiers !
Ils passèrent un peu de temps à évoquer le passé, avant, inévitablement, de retomber dans le sujet chaud du moment.
- Que fait-on pour Claire ? Demanda Franck. J'ai contacté Luc Chavin l'actuel chef de service, la seule réponse que j'ai eu, était de profiter de ma retraite, de ne pas m'en faire, et que le nécessaire avait été fait pour sécuriser sa sortie.
- Pipo ! Chauvin est un vrai connard qui ne pense qu'à sa future promo.
- Igor, il faut être réaliste, nous ne sommes plus en charge de ce dossier et..
Igor l'interrompit.
- Eh Franck je vois où tu veux en venir, tu penses qu'il faudrait ne rien faire ?
- Mais nous n'avons aucun levier pour agir Igor !
- Je ne te pensais pas aussi fataliste.
Un silence pesant s'installa autour des deux hommes. Le dossier Claire Neville recommençait à électriser tout le monde comme ce fut le cas à l'époque. L'un et l'autre se souvenaient parfaitement de ces interminables staffs dans le service, où toute l'équipe s'entre déchirait pour trouver la meilleure solution médicamenteuse pour traiter son cas, que certains jugeaient irrattrapable.
- J'ai commencé à faire mon enquête Franck pour essayer de la retrouver, et j'ai repéré sa trace.
Igor lui relata les événements qui avait pu le conduire à remettre la main sur Claire Neville.
- Je l'ai croisé par hasard pendant le mois d'août dans un supermarché près d'Evry. Elle m'a instantanément reconnu, très souriante comme à son habitude. Malgré les années, j'ai retrouvé la même Claire qu'à l'âge de 17 ans. Son regard, son élégance naturelle et son sourire. Difficile de penser qu'une meurtrière sommeil toujours en elle. Nous avons discuté de ses nouvelles activités, ou elle habitait, ses occupations. Figure toi qu'elle a trouvé un poste dans une boutique de prêt à porter et qu'elle s'occupe de robes de marié. Avoue quand même que la situation est cocasse, elle s'occupe de faire le bonheur des autres !
- Igor c'est une blague ?
- Non, et je suis d'accord c'est difficile à entendre.
- Et ensuite, que ta t'elle dit ?
- Rien de plus, nous nous sommes quitté et je l'ai suivi dès sa sortie du supermarché. La filature m'a mené jusqu'au quartier de l'Opéra à Paris où elle a pris un rafraîchissement avec un jeune homme.
- Sa future victime ? demanda Franck
- Oui, peut être. Comme une araignée elle est sans doute en train de tisser sa toile. J'ai pu repérer le domicile du jeune homme. Il est motard comme moi. Complètement Barjot d'ailleurs, très difficile à suivre sans risquer de se faire épingler par les flics. Il habite dans l'ouest Parisien.
- Un vrai détective dis moi ! Plaisanta Franck, t'aurai pas été en contact dans ta jeunesse avec les services secrets russe qui t'auraient enseignés quelques méthodes ?
Franck avait parfois, un sens de l'humour douteux.
- Bon, écoute, soyons sérieux deux minutes.
Franck, essayait de ne pas rire.
- Excuse moi, vas-y continue.
Igor reprit le fil de la conversation sur le ton habituel qu'il employait toujours quand il déroulait un raisonnement. Accoudé, les doigts joints, les yeux pétillant derrière ses lunettes rondes.
- Je sais également que ce type travaille non loin du quartier de l'Opéra.
- Bon sang mais que va t'on faire ? Appeler les flics ?
- Et l'arrêter pour quel motif ? Pour un meurtre qu'elle n'a pas encore commis ? Tu as trop vu le film Minority Report, Franck !
- Quelle salle affaire.
- Attend, la meilleure, c'est que Claire a élu domicile chez lui ! Voici quelques jours, en faisant le guet devant son domicile, je l'ai vu sortir le matin pour aller boire un café. je me suis installé non loin de lui. Et là j'ai hésité à l'aborder. Je ne l'ai pas fait, et j'aurais sans doute dû.
- Tu l'a laissé partir comme ça sans rien dire ?
- Non pas vraiment , je me suis contenté de lui écrire un mot pour le mettre en garde. Je sais qui l'a lu quelques minutes après son départ.
- Que pense Catherine de tout ça ? Je veux dire, tu passes tes journées sur cette affaire, et si trouve on se fait un film. On est peut être simplement en train de s'immiscer dans la vie privée d'un homme et d'une femme.

Igor avait conscience que les faits ne jouaient pas en sa faveur. Franck n'avait que des
présomptions. Lui, en revanche, avait l'intuition que Claire allait frapper à nouveau. Quant à Catherine, Igor allait devoir faire preuve de pédagogie et de compréhension à son égard. Il passait ses journées dehors, parfois une partie de ses nuits. Cette affaire commençait vraiment à l'obséder.
- Est ce que tu l'as revu depuis ? Demanda Franck.
- J'ai fait la planque depuis notre dernier échange écrit, et à part une ambulance venue récupérer un malade, visiblement mal en point, je n'ai rien noté de particuliers. En tout cas pas de trace ni de Claire ni du jeune homme en question. Peut être as tu raison après tout, ils doivent sans doute passer du bon temps ensemble sous la couette à n'en plus vouloir sortir.
Les deux hommes restèrent silencieux un long moment, perdu dans leur réflexion .
- Une ambulance disait tu ? Demanda Franck
- Oui pourquoi ?
- Non pour rien.

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