Parking désert

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16 Juin 2016

Deux semaines s'étaient écoulées depuis l'accident de mon père. Son état était toujours stationnaire. Le pire n'est jamais certain disent les optimistes. Ma mère était à son chevet tous les jours, je faisais des allers-retours deux à trois fois par semaine.

Ce matin, en me rasant je me remémorai la phrase que m'avait répétée ma mère sur l'Amour. Cette citation sortie tout droit d'un texte biblique me laissait perplexe. Lui pour qui la foi était quelque chose d'étranger. Pourquoi avait-il, comme ça, spontanément parlé d'Amour. La peur soudaine de la mort ? Ça ne lui ressemblait pas.
La nuit avait été un peu mouvementé. Apéro, diner, boite de nuit et avec l'aide de quelques substances illicites une After chez moi avec un groupe de fidèles. Le réveil fut encore difficile, mais j'avais finalement pris l'habitude depuis maintenant plusieurs années de cet état nauséeux « post mortem ».

J'arrivai à L'hôpital sur le coup de 18h30, avec une petite demi-heure devant moi pour souffler. Je prenais toujours l'habitude de me rendre à la cafétéria, histoire de me poser quelques minutes et reprendre le cours de la vie réelle.
À vrai dire la mixture du distributeur de café n'avait pas l'arôme du petit noir servi au comptoir d'un bistrot, mais qu'importe, ça réveillait et c'était l'objectif.
Assis à une table, j'observai les clients défiler, certains l'air enjoués, d'autres plus sombres, les mêmes échangeant sans doute leur rôle d'un jour à l'autre au gré de l'état de santé de leurs proches hospitalisés.
- Foutu machine à café, encore deux euros partis en fumé !
Un médecin en pause allongeait la longue liste des clients dont les cafés restaient accrochés en haut de la machine.
- Excusez-moi, cette chaise est-elle libre ?
Une jeune femme arrivée brusquement par derrière me surpris.
- Euh, oui, allez-y
Elle me dévisagea plusieurs secondes.
- Vous n'avez pas l'air sûr de vous ! Est-elle libre ou non ?
Elle me prend pour qui ?
- Oui, cette chaise est libre.
- Merci !
- Vous m'avez surpris voilà tout
- Oh excusez-moi
- Pas de mal, Maugrée- je
- La prochaine fois je tacherai de vous prévenir avant d'arriver, me dit-elle avec un sourire.
Elle continue à se fiche de moi ou quoi ?

J'aperçu ma mère à l'entrée de la cafétéria me faisant signe de la rejoindre, nous prîmes l'ascenseur conduisant à l'étage supérieur vers la chambre de mon père. Il était placé en coma artificiel. Son hématome se résorbait peu à peu, mais quant aux éventuelles séquelles, il était encore trop tôt pour se prononcer. Les équipements de Monitoring de toute nature ponctuaient le silence de la chambre.

A 21h, l'équipe médicale de nuit prit le relais, il était temps pour nous de nous éclipser. Après avoir discuté de choses et d'autres avec ma mère dans un des canapés de l'accueil, je décidai de repartir sur Paris. Nous nous quittâmes sur le parking de la clinique. Mon casque à la main, chevauchant ma Kawasaki, je m'apprêtai à démarrer lorsqu'une voix lointaine interrompit le fil de mes pensées.
- Monsieur, excusez-moi !
C'était la fille de la cafétéria.
- Encore vous ? Décidément on ne peut plus se quitter.
Et toc, ça t'apprendra pour le coup du « vous n'avez pas l'air sur de vous »
- Et oui, dit-elle encore essoufflée, mais vous aurez noté que j'ai pris le soin de vous prévenir à l'avance.
Elle continue !
- Mademoiselle, cette conversation me plaît beaucoup, mais j'ai un peu de route à faire, je suis fatigué et pressé d'aller me coucher.
- Désolé, j'ai un service à vous demander, ma voiture ne démarre pas, pourriez-vous jeter un coup d'œil ?
- Réparer des voitures n'est pas ma spécialité, mais je peux vous emmener au garage le plus proche si vous voulez.
- Sur votre engin de mort ? Vous n'avez qu'un casque j'imagine, et à cette heure tardive, trouver un garage ouvert serait un exploit.
Elle n'avait pas tort.
- D'accord allons voir votre voiture.
Le capot soulevé, je fis très vite le tour de mes maigres compétences en matière de mécanique automobile. Le moteur ne voulait pas démarrer.
Les sourcils froncés, elle m'observait, finalement pas convaincu par mon intervention.
- La batterie ? – suggérais-je timidement.
- Triomphale : Changée il y a un mois !
Et pour m'achever définitivement.
- C'est votre dernier mot jeune homme ?
Je souri intérieurement, touché par l'impertinence de cette inconnue.
- Pas d'autres choix que de trouver un garage.
- En effet, ajoute-t-elle – toujours en m'observant, les bras croisés.
- Ou habitez-vous, demandais-je?
- Dans la banlieue Sud de Paris.
- Que faites-vous ici dans une clinique Rouennaise ?
- Et bien je pourrais vous poser la même question !
- Ecoutez, tous les problèmes ont une solution, n'ayant qu'un casque je ne peux pas vous ramener ce soir, par contre je peux vous dépanner en vous appelant un taxi et vous ..
Elle m'interrompit.
- Un taxi ? Vous plaisantez ? Avez-vous la moindre idée du tarif d'une telle course ?
- Euh non à vrai dire, mais ça n'a pas d'importance vous n'allez pas rentrer à pieds !
- Au moins 300€ ! Je refuse de payer une telle somme !
- Laissez-moi au moins participer.
De nouveau, elle m'interrompit.
- N'insistez pas, c'est non.
Je restai scotché devant une telle autorité. Ses yeux me fixaient d'un regard bleu acier.
- Que proposez-vous alors ?
- A vrai dire je n'en ai pas la moindre idée.
- Avez-vous, des amis, de la famille dans le coin qui pourrait vous aider ?
- Non.
Le soleil disparaissait au loin sur l'horizon, le parking se vidait des derniers visiteurs.
Etrange rencontre. Cette fille que je connaissais à peine était d'une rare spontanéité.
La tête dans ses mains elle s'assit sur un banc à proximité comme pour réfléchir. D'un coin de l'œil, je l'observais. Brune, plutôt longiligne, elle portait une robe blanche qui la rendait très élégante.
- Ecoutez mademoiselle, je vous propose une alternative. J'aperçois au bout de la rue un Hôtel, vous pourriez y passer une nuit et chercher un garage demain à la première heure.
- Mais je travaille moi demain matin, et je n'avais pas prévu de dormir à l'hôtel ce soir.
- Ah ? Et vous prévoyez tout comme ça dans la vie ?
- Financièrement, oui. J'essaye tout au moins.
En fait je ne savais pas quoi faire. Après tout je ne connaissais pas cette fille. Elle était peut-être une serial Killeuse, ou quelque chose dans ce genre. D'ordinaire j'aurais tourné les talons, après tout chacun ses problèmes, j'ai suffisamment à faire avec les miens. Mais là, c'était... différent, je ne sais pas pourquoi, la situation était inédite pour moi. Je ne pouvais laisser cette jeune femme toute seule sur un parking à la tombée de la nuit.
- Laissez-moi vous aider au moins pour cette nuit et vous attraperez demain matin le premier train vers Paris.
- Comment ça ? Que suggérez-vous et que dois-je comprendre par là ? Attention je peux crier et les vigiles postés à l'entrée de la clinique viendront sur le champ !
Je souris.
- Rien de bien méchant rassurez-vous. Donnez-moi juste quelques instants. Au fait, je ne vous ai pas demandé votre nom ?
- Claire Neville.
- Jonathan Bertin, enchanté.
Je composai un numéro sur mon smartphone en m'écartant de quelques mètres par discrétion.
- Allo, c'est Jonathan. Non tout va bien ne t'inquiète pas. Maman, j'ai un service à te demander pour cette nuit.

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