Lourd passif

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- Igor pour la troisième fois essaye de te souvenir, de quelle heure à quelle heure tu as planqué devant son domicile ?
- Entre 09h30 et 18h00, je m'en souviens parfaitement, Catherine m'a appelé sur mon portable pour me rappeler vertement qu'on avait un repas le soir et qu'il était hors de question d'arriver en retard.
- Et cette ambulance ?
- Quoi cette ambulance ? Tu n'arrête pas de m'en parler depuis hier, Franck. Crois tu honnêtement qu'une meurtrière voulant faire transporter sa victime utiliserait une ambulance tout gyrophare allumé, avec la sirène de surcroît ? Tous les curieux du quartier était là, attroupés comme si c'était le Pape qu'on emmenait !
Les deux anciens médecins étaient assis depuis le matin par terre dans le bureau d'Igor en train d'éplucher le dossier Claire Neville à la recherche d'indices. Sa victime et elle s'étaient volatilisées.
- Écoute moi Igor, je suis persuadé qu'il a été emmené quelque part avec cette ambulance. Tu est resté scotché à son domicile quasiment toute la journée, donc essaie de te rappeler.
- Tu oublies qu'il aurait pût sortir dans la soirée.
- Je sais, mais le scénario d'un tranquillisant à base d'anesthésiant n'est pas à exclure.
- De toute façon nous ne le serons jamais et peu importe car l'un et l'autre ont disparu.

Igor avait pu pénétré à l'intérieur de l'immeuble pour essayer d'identifier l'appartement. En discutant avec le gardien, et se faisant passer pour un médecin, il avait récupéré l'étage et surtout le nom du jeune homme : Jonathan Bertin. Le gardien possédant un double avait accepté gentiment de l'accompagner dans son appartement. Vide évidemment.

Quelques clics sur Google avaient suffit pour récupérer des informations précieuses sur son parcours personnel et professionnel. Se faisant passer pour un ami, Igor avait contacté son bureau, ce dernier l'informant que Jonathan avait pris une semaine de congé du jour au lendemain sans préciser pourquoi, ce qui, avait souligné son collègue, ne lui ressemblait guère. En épluchant les réseaux sociaux ils avaient trouvé, de lien en lien, un article intéressant dans une gazette locale.
Les deux hommes était collés l'un à l'autre dans cet étroit bureau, face à l'écran de l'ordinateur portable, parcourant l'article sur un événement tragique survenu le 15 octobre 2012, lorsqu'un des collaborateurs de ce Jonathan Bertin s'était donné la mort, victime d'un Burn Out.
- Pas besoin de chercher bien longtemps sur la toile comme tu peux le voir, ajouta Igor. Visiblement le malheureux à subit harcèlement et maltraitance.
- Le syndrome du "toujours plus" fit Franck la bouche pleine en train de déguster un pain au chocolat.
- Oui et il n'a pas supporté, avec visiblement face à lui quelqu'un sans empathie, ne prenant pas en compte, un seul instant, le facteur humain, d'ailleurs l'article le stipule bien :

"Sébastien G., cadre commercial de 39 ans embauché à peine 6 mois auparavant avait des objectifs de vente intenables. Ne partant pas de son bureau avant 22h le soir, ses semaines dépassaient très largement le cadre légale autorisé, avec plus de 70 heures en moyenne. Sa santé se détériorait de semaine en semaine. Sa hiérarchie ne tenait compte d'aucune alerte pourtant remontées maintes fois par l'intéressé et ses proches. Plus ses performances se dégradaient et plus son responsable lui mettait la pression. Ce cercle vicieux a conduit le malheureux à se donner la mort un soir, en se défenestrant du 7eme étage de son appartement. Il avait 39 ans et était père de trois enfants."
Igor et Franck restèrent un moment silencieux.
- Forcément l'affaire est allée en justice, mais la peine fut dérisoire. Igor continua de lire l'article à haute voix en bredouillant.
Franck réagit vertement.
- Deux semaines d'arrêt ! Sans licenciement, c'est dérisoire face à la gravité de la situation, un homme est mort quand même !
- Du pain bénit pour Claire, fit Igor, qui a dû sûrement tombé sur ces articles. La victime idéale.
- C'est drôle de parler de victime, quand on a été à son tour un bourreau.
- A ceci près que le Jonathan en question, sans vouloir minimiser la gravité de son comportement, n'avait sans doute pas pris conscience des conséquences de ses actes, sans doute lui aussi soumis à une forte pression de résultats de la part de sa direction. Ajoute à cela une pincée d'ambition et d'arrivisme et tu obtiens un cocktail explosif. Le terme bourreau me semble excessif dans son cas.
- L'article a censuré son nom de famille, étonnant non ?
- Oui effectivement, ça n'est pas courant pour des faits divers de ce type,
- Sans doute une demande de la famille.

L'un et l'autre réfléchissaient aux décisions à prendre quant à cette affaire. Les événements leur échappaient. La pièce était plongée dans la pénombre en cette fin d'après-midi, seule le tic tac de l'horloge rythmait le silence.
Igor se releva de sa posture inconfortable, le dos ankylosé, en se tapant le postérieur pour s'enlever la poussière. Il s'assit à son bureau et pris sa posture que Franck connaissait bien, accoudé et les doigts joints, lorsqu'il essayait de résoudre un cas complexe.
- Franck j'ai bien peur que nous n'ayons qu'une seule issue pour avancer. Un jeune homme a été kidnappé par une folle, sa vie est en danger, je ne vois pas ce que l'un et l'autre pouvons faire.
- Appeler la police, hésita Franck ?
- Nous n'avons pas le choix.

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