Chapitre 31 ✔️

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Reprendre l'habitude de marcher avec des béquilles était plus dur qu'elle ne le pensait. Essentiellement parce que son pied était de nouveau valide. Elle avait l'impression d'être ridicule à déambuler ainsi, de plus qu'elle avait failli se ramasser la figure plusieurs fois le temps qu'elle se fasse à l'idée. Et bien évidemment, son sac de transport ne l'aidait nullement durant sa courte escapade, puisqu'il la faisait tanguer sur le côté et qu'elle naviguait telle une ivrogne.

Rosalie poussa un faible grommellement. Ne pas réveiller les soupçons, qu'il disait. Et puis quoi encore ? Ce n'était pas lui qui se baladait avec des béquilles et qui jouait la comédie ! Elle avait beau être maline et savoir pertinemment que c'était la meilleure solution pour ne pas susciter d'interrogations, elle n'en était pas moins ennuyée. Mentir était tout ce qu'elle abhorrait, pourtant il y avait des situations où l'on n'avait pas le choix d'entourlouper certains esprits. Comme lorsqu'ils était capital de se protéger soi-même et la vie des autres, tout en cachant la vérité.

La jeune fille se stoppa dans sa course et ferma brièvement les paupières. Il y avait encore une semaine, elle se gambadait joyeusement dans les allées. Certes, sa première rencontre avec Thomas, changé en loup, avait été affreuse ; seulement elle ignorait tout à cet instant-là : son adoption, ses dons et à l'inverse également : sa malédiction. Il était vrai que tôt ou tard sa nature allait revenir la saluer, mais son accident avait tout bouleversé.

Elle avait failli mourir cette nuit. Depuis, son monde s'était quelque peu noirci.

Le pied délibérément posé sur le sol, Rosalie leva la tête vers le ciel, observant les nuages obscurs qui lui dissimulaient une quelconque étincelle. L'ironie du sort, ou était-ce simplement une coïncidence, était que son humeur correspondait au temps. Elle était aussi sombre, aussi tempétueuse, aussi colérique que l'orage qui se préparait. Son sang battait fiévreusement le long de ses veines et artères, et son cœur, lui, ne cessait de s'agiter sous cette émotion pratiquement dévastatrice. Elle ne devait pas se laisser dominer par sa rancœur, ni par cette impuissance qui la décourageait un peu plus chaque jour. Malgré sa colère disproportionnée, elle songea aux paroles d'Arno et à cet exercice qui lui permettait d'être maîtresse de son propre corps.

Alors elle prit une grande inspiration tout en fermant les yeux. Et à l'écoute du vent rugissant, ainsi qu'à toutes ces odeurs, elle parvint à contrôler les battements de son cœur. Ravie de cette maîtrise bien que partielle, la jeune fille ne perdit pas de temps pour rejoindre sa résidence. La goutte qu'elle sentit sur son nez la fit accélérer sa démarche, et elle tricha un peu en s'appuyant de temps à autre sur son pied « blessé ».

Plus elle approchait du foyer, plus elle arrivait à entendre les gloussements familiers de ses camarades. Elle reconnut sans trop de mal ceux de Margaux et Mélanie, mais le rire qui la fit plus sursauter était celui de sa grande amie, Emma. Un léger sourire flotta sur son visage, songeant aux semaines passées à ses côtés ainsi que leur complicité naissante. Mais très vite, une désillusion la frappa aussitôt : elle allait devoir lui mentir. Pire que ça, elle devait faire cesser toutes investigations de sa part, sans éveiller de suspicions. Ça n'allait pas être une chose aisée, puisque c'était principalement grâce à elle que la plupart de ses réponses avaient été obtenues. Le triskèle, les légendes sur les loups-garous, les attitudes ombrageuses de leur entourage. Sans sa colocataire, il y aurait bien longtemps que Rosalie aurait tout abandonné.

Et maintenant, elle était dans l'obligation de laisser son amie à l'écart pour sa propre sécurité et également pour la sienne et celle de sa meute.

Rose déglutit difficilement, elle poursuivit sa route, essayant de ne pas trop penser à l'avenir. Elle se hâta d'arriver aux pieds de l'immeuble et de monter prudemment les marches. Elle entra dans les lieux avec quelques difficultés et fut aussitôt attaquée par les différents parfums des jeunes demoiselles ici présentes. Un léger mal de tête l'assomma, encore peu habituée à l'exacerbation de ses sens. Elle se boucha le nez quelques secondes, le temps qu'elle s'acclimate à sa nouvelle condition combinée avec l'environnement. Malgré tout, la chaleur du foyer l'égaya et elle prit un réel plaisir à explorer de nouveau cet endroit. Elle faisait face à ce même escalier auquel elle avait dévalé si souvent, elle repérait également le porte-manteau à sa droite qui était envahi de vestes ainsi que de gros manteaux de toutes les couleurs. Et en pivotant la tête vers la gauche, elle perçut le salon vide de toute présence, quand bien même ses oreilles distinguaient continuellement les rires de ses amies. Et en effet, elles étaient confinées dans l'espace destiné au travail.

La Rose ArgentéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant