Chapitre 47

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SIX SEMAINES PLUS TARD

Tris, le trac au ventre, entre dans le grand amphithéâtre. Il est étrangement bien rempli. Un brouhaha accompagne son arrivée. Quelle idée elle a eu d'accepter cette farce !

La conférencière du jour installe ses papiers sur le bureau : elle a préparé son plan et les grandes lignes de son exposé. Elle a convenu avec son professeur d'une durée écourtée de présentation, lui seul étant destinataire de l'intégralité de son mémoire. A sa grande surprise, Tobias entre par l'entrée basse, tenant par le bras Jonah. Elle ne pensait pas que le grand-père de son compagnon aurait le courage de sortir de l'orphelinat pour venir. Tris va à sa rencontre avec un sourire, et l'accompagne jusqu'au premier rang. Quelques étudiants habillés en tenue Altruiste, ivoire et grise se poussent pour lui laisser la place la plus confortable, ce qui fait sourire la jeune fille. Leur présence au premier rang n'est pas conforme à l'esprit de la faction dissoute, dont les gens cherchent à s'affranchir des principes les plus rigides ou inexplicables. Mais leur abnégation revient au galop dès que le besoin s'en fait sentir, on n'abandonne pas des années d'éducation en claquant des doigts.

Tout en haut et au fond, Johanna fait son apparition avec deux hommes. Tous trois s'installent à l'écart, tout en haut de l'amphithéâtre au dernier rang, en attendant le début du cours. Tris sourit avec un brin de crispation, Johanna a fait de la publicité pour son « cours » et tente de compléter l'amphithéâtre avec ses amis... Mais en fait, la salle est déjà quasiment pleine : son professeur de sociologie a battu aussi le rappel parmi ses étudiants.

Quand l'heure prévue pour le début de son exposé s'affiche sur l'écran rectangulaire mural au-dessus du tableau numérique, la jeune fille fait retentir la sonnerie indiquant aux étudiants que le cours va commencer, la dernière fois qu'elle a entendu cette sonnerie, c'est elle qui était assise parmi les étudiants, il n'y a pas si longtemps. Le silence s'installe dans la grande salle.

— Pendant des siècles, les habitants de cette ville, de ce pays, de ce monde, ont vécu sous différentes dictatures. Aussi, je n'en ajouterai pas une autre : si certains d'entre vous pensent que ce cours est obligatoire pour la validation de leur année, je les rassure, ils peuvent partir.

Quelques rires fusent dans les rangs, mais personne ne se lève pour quitter l'amphithéâtre.

— Je ne suis là que pour vous raconter une histoire, la vôtre en réalité. En fait, je passe mon examen de sociologie... J'avais une dissert' à faire ! Le vrai prof, il est dans les gradins...

La salle se secoue à nouveau de rires, mais personne n'envisage une seconde de remettre en cause la légitimité de la position de Tris, derrière le bureau, à sa place ce jour-là : tout le monde lit les journaux et les aventures du groupe entourant la célèbre Tris Prior ont fait le tour de la ville. Le professeur d'histoire des factions, un ancien Erudit qui a évolué avec cette société qu'il étudie sous tous ses angles, sourit à l'aveu de Tris.

— L'humanité n'a fait que balancer d'excès en excès inverses, tentant de trouver un équilibre entre ses ambitions, sa survie, et sa stupéfiante capacité à s'autodétruire... Quand les factions ont été créées par les fondateurs, l'Homme avait tant pêché par orgueil et par convoitise qu'il a obtenu l'effet inverse à ce qu'il souhaitait : la moitié de la population de ce pays, et des autres sur notre planète, a disparu, décimée par la recherche, entre autres, de la perfection génétique. Vous savez déjà cela. La haine, le mensonge, la lâcheté, la bêtise, l'égoïsme ont ravagé la terre entière. Logiquement, en se basant sur la conviction issue de philosophes anciens tels Rousseau, qui prétend que l'homme naît bon et que c'est la société qui le transforme, les fondateurs ont pensé que des factions imposant des valeurs contraires à ces vices pourraient rétablir une paix durable. Ce système a fonctionné, plus ou moins, durant deux siècles à Chicago, ce qui est très court à l'échelle d'une société, mais il a été perverti par des objectifs inhumains, totalitaires, égoïstes et bornés, un retour aux défauts originels, en somme. Il s'avère que ce système a également été testé, à l'insu de chaque cité, dans quatre autres grandes villes des Etats-Unis par le gouvernement, une institution dont, à Chicago, à peine une poignée d'être humains avaient seulement connaissance, il y a juste quelques mois. Tous les habitants intégrés alors dans ces cités expérimentales ont été soumis au sérum d'oubli pour recommencer une nouvelle vie. C'est pour s'investir dans ce projet que mon ancêtre Edith Prior s'est portée volontaire pour constituer une de ces familles fondatrices de la cité de Chicago, comme beaucoup d'autres, vos ancêtres, à vous qui êtes nés à Chicago. Les fondateurs ont compris que les plus vils côtés de la nature humaine étaient responsables de toutes ces destructions. Pour soigner ces maux, ils ont instauré des groupes de personnes, cinq, des factions, en imposant des règles censées développer les qualités inverses. Dans chaque cité, c'est une faction différente qui a été placée à la tête du conseil local. Etait-ce la solution ? A chacun de juger. Ils ont toutefois sans doute sous-estimé ou mal perçu trois concepts capitaux de l'Humanité.

Divergente 4 - RésurgenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant