Chapitre 48

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DEUX ANS PLUS TARD

— Tobias ?

— Mmmh ? marmonne le jeune homme la bouche pleine de gâteau au chocolat.

Même ici, à Seattle, la recette les a suivis. Aucun moyen d'accepter de voyager sans la précieuse recette dans les bagages. Tris le cuisine en un tournemain et Tobias pourrait presque se féliciter d'avoir choisi les Audacieux, lors de sa Cérémonie du Choix, juste pour avoir pu connaître cette friandise. Tris s'approche de Tobias assis dans le fauteuil. Elle en fait le tour par l'arrière et se penche sur lui pour nouer ses bras autour de son cou, comme une cravate, et pour poser sa joue contre la sienne. La peau de sa cicatrice, blanche et douce, se frotte quelques secondes à la barbe naissante que Tobias n'a pas rasée ce jour-là, la jeune femme a toujours adoré ce contact rêche et brûlant.

Le petit appartement moderne dans lequel ils sont installés est bien exposé. Tout près du lac Washington et à quelques minutes de l'université de l'Etat de Washington, ils ont préféré sa simplicité à l'appartement Présidentiel que Thomas Harper voulait mettre à leur disposition. Ils se sentaient plus libres de leurs mouvements, étouffés qu'ils étaient, à chaque déplacement avec le Président, par le ballet continuel de son personnel et de ses assistants, même en son absence.

Tris s'est prise de passion pour la brocante. Tout ce bric-à-brac ancien lui semble représenter des bribes matérielles de ce passé qu'elle a acquis, recherché, et hérité. Les villes, redevenues presque des villages après la Grande Paix tant les populations y ont été décimées, se relevant doucement de leurs blessures, l'heure n'est pas au gaspillage. Des artistes du quotidien redonnent vie au mobilier récupéré, et Tris adore l'Histoire que portent ces objets. Le Président s'était étonné de la facture misérable qu'il avait reçue pour meubler leur deux pièces. Un canapé bleu – nostalgie de celui qui meuble leur logement à l'orphelinat de Chicago – deux fauteuils en rotin recouverts d'épaisses galettes de tissu beige rembourrées et ponctuées de gros boutons noirs, une table en bois toute simple avec quatre chaises en bois, composent le mobilier spartiate de la pièce principale. Rien qui ressorte particulièrement, contre les murs beige clair unis. Dans la chambre, un lit, dans lequel ils rient de se trouver à l'étroit : de taille classique, coiffé d'une armature métallique en arc de cercle, ils s'y sont cognés un nombre incalculable de fois, occasionnant maints fous rires. Le large lit carré improvisé de Tobias est resté à Chicago, dans leur appartement de l'orphelinat, leur refuge, leur mémoire, comme un lieu de villégiature adoré. Une commode et une armoire gris foncé en tout et pour tout, tranchant sur les murs blanchis à la chaux, leur permet de ranger leurs vêtements. Seul l'équipement informatique de Tobias, sur un bureau contre un pan de mur dans la grande pièce, tranche par sa modernité et ses matériaux de pointe.

Situé en hauteur, au dixième étage d'une tour, Tris n'a pas trouvé utile de mettre des rideaux aux fenêtres, elle ne voulait rien d'autre entre eux et l'extérieur, que le verre de la vitre. Rien entre elle et le ciel, rien entre elle et la vie. Les levers et couchers de soleil sont un spectacle quotidien inépuisable dont aucun des deux ne se lasse. Dans le passé, le coucher de soleil était un moment d'angoisse : le soleil se lèvera-t-il le lendemain ? Dans un bain de sang ? Combien pourront admirer le suivant, à Chicago ?

Maintenant, les couchers de soleil décorent les murs unis de ses camaïeux changeants de rose, de rouge, de feu. Pas besoin de peinture, avait dit Tris avec philosophie, la nature pourvoit au décor.

Au loin, ils peuvent même apercevoir la forêt dont les photos et récits ont fait saliver Mark. Pas besoin de tableaux non plus. Quelques photos souvenir leur suffisent pour se sentir bien.

Divergente 4 - RésurgenceOù les histoires vivent. Découvrez maintenant