Chapitre UN - La nuit de Son 18ème Anniversaire

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Partie I

Je lève les mains au ciel.

Exaspération. Frustration. Un brin de culpabilité, aussi, même si je n'ose pas l'avouer.

Mes sentiments s'agitent et s'enchainent alors que, les mains glacées, j'appuie sur mon téléphone. Telle une forcenée. Un léger rictus s'installe sur mes lèvres et je fronce les sourcils, me demande, m'interroge.

'' Je ne pense pas ''

Mes lèvres se courbent et j'attends sa réponse, impatiente, le cœur figé sur un battement inachevé.

'' Pourquoi ? ''

''C'est pas moi qui décide''

''Alors c'est qui ? ''

Je me mordille la langue, déglutis, repousse d'une main agacée mes cheveux blonds cendrés. Des mèches rebelles tombent sur mon front, me titillent, me dérangent, elles ne cessent de revenir, encore et encore. Je devrais les couper, je songe et me détourne quelques instants de l'écran brillant de mon compagnon, observant le reflet que m'envoie un miroir posé fièrement devant mon lit. J'observe ce visage pâle, ces yeux fatigués, ces joues brûlées par des sentiments contradictoires, j'observe mon corps courbé, ce dos qui ne sait comment se tenir droit, ces jambes qui reposent sur mes draps défaits.

Mon cellulaire sonne.

J'ai reçu un nouveau message.

'' Tu ne veux pas que je rencontre ta famille''

Accusations, tristes accusations.

Je devine le ton boudeur qui se cache derrière ces quelques lettres noires, tapées à la va vite dans un mouvement peiné. Je l'imagine, plisser les yeux et attendre, impatient et craintif, une réponse à ce message à moitié assuré.

Je souffle. Inspire, essaye de détendre mes muscles tendus.

'' C'est pas ça....''

Je tente, j'essaye, et j'envoie, la poitrine comprimée par une culpabilité grandissante. Mes mains se plient, mes doigts se serrent, mon regard reste immobile et ma bouche s'assèche, et j'essaye de toutes les forces de trouver une explication à ma réticence qui l'agace et le dérange.

J'hésite, j'hésite et j'hésite, me demande, m'interroge, fouille ma tête et mes souvenirs, inspecte soigneusement mes sentiments. Qu'est-ce qui m'effraie ? Qu'est-ce qui me fait si peur ? Je lèche mes lèvres sèches, les mordille, les achève et, craintive, me replie derrière mes défenses imaginaires. Trouver une excuse plausible, trouver une réponse acceptable, je cherche dans mes vêtements négligemment jetés sur le sol les mots, les phrases à lui tendre avec un vague sourire désolé.

'' C'est la fête d'Alexia'', j'envoie, tapant rapidement, la nervosité me faisant trembler. ''Elle ne veut pas d'invité surprise''

''Excuses, douces et tendres excuses...''

''Je ne veux pas lui faire de mauvaise surprise...''

''Je suis une mauvaise surprise ?''

Je mords l'intérieur de mes joues, souffle, expulse un air toxique qui a été trop longtemps retenu prisonnier par mes poumons enflammés. Un léger regret se fait sentir, mon manque de délicatesse me tourmente gentiment, et ma poitrine se serre, ma poitrine s'étouffe sous cette pression insupportable. Je suis tendue, je suis terrifiée, je suis désolée et je suis aussi en colère, soudainement. Pourquoi ne veut-il donc pas comprendre ? je m'énerve et m'égare, la poigne nerveuse de mes doigts serrant mon appareil doré.

''Bien sûr que non'', je rétorque, faisant taire ma flamme. '' Je préfère te présenter à ma famille en des meilleurs circonstances, c'est tout''. Je réfléchis, continue : '' Et puis, c'est sa fête de dix-huit ans ''

''Dix-huit ans ?''. ''Et vous vous contentez d'un petit diner en famille ?''

Je lève les yeux au ciel et réplique, tendue, contrariée.

'' Ma famille est... différente des autres familles''

''Ouais j'ai remarqué''

Soupir.

Je me détourne, pince mes joues, fronce les sourcils, ignorant comment prendre cette remarque qui se voulait si désinvolte. Puis je devine, douloureusement, qu'une dispute n'est plus évitable, que cette discussion fonce droit vers un mur, qu'on en sortira amers et quelque peu brisés, et qu'on s'en voudra, et qu'on se détestera pendant quelques heures suffisantes. Et j'ai peur, je prends peur, cherche et m'invente une autre excuse, un prétexte pour mettre fin à ces messages doucereux, je tente de fuir, de me cacher, de disparaître, de ne plus être.

'' Écoute je dois y aller'', j'écris rapidement, en frottant mon front.

''Ouais''

''On se parle plus tard ? ''

''Ouais''

Il attend, il réfléchit, il analyse et ajoute rapidement :

'' Amuse-toi bien.''

Et c'est fini.

Et notre discussion s'achève sur cette note amère, sur ce ton amer et énervé.

Je libère un soupir et ferme les yeux, rejette mon cellulaire, rejette mes pensées d'un bref coup de tête. Je me laisse tomber, tomber et encore tomber, me laisse engloutir et dévorer par mes draps toujours défaits, d'un blanc que je déteste, et je m'installe rapidement dans un confort non mérité, en cachant un cœur meurtri qui continue de battre.

Dehors il pleut.

Je le devine, je l'entends, et je le confirme avec un bref coup d'œil jeté nonchalamment. Mes rideaux sont ouverts sur un ciel de plomb, sur une armée de nuages entassés et colériques qui grondent et pleurent lamentablement. Il pleut. Un millier de gouttes tombent, s'écroulent et explosent sur notre terre noire, sur les écorces sombres de ces arbres éternellement immobiles. Le ciel nous pleure, pleure une destinée tragique, un funeste futur.

Je soupire.

Me relevant lentement, frottant mes yeux, déglutissant nerveusement, j'empoigne une robe blanche et me force à sourire.

Ce soir, c'est la mort d'une amie.

Ce soir, c'est l'anniversaire de ma cousine.


À suivre 

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