Partie II
Ma poitrine est comprimée.
Je manque d'air.
Je suffoque.
L'horloge continue son tic-tac cruellement régulier, cruellement indifférent. Une pendule dorée qui pointe à chaque seconde un chiffre différent, et qui rappelle, et qui indique, qui ajoute du plomb dans des poumons déjà bien lourds.
― Qu'est-ce qu'il se passe, après ? je chuchote, la voix enraillée.
Mon cœur bat vite.
Mon cœur bat fort.
Une peur s'insurge, s'installe et monte dans ma gorge. Et avant même que je ne le réalise, je suis terrifiée, un mauvais pressentiment allumant mes veines, gelant mon esprit. Mes pensées s'agitent, mes questions s'élèvent et butent contre le mur glacé que forment mes lèvres blanches. Je tremble, j'hésite et je détourne le regard. Je n'ose parler, n'ose réellement demander. L'envie de savoir me démange, la peur de savoir me tue. Et je suis là, au milieu de ce tourbillon, vide et insignifiante, et ignorante, et terriblement, terriblement petite.
Ma gorge se serre.
Mon ventre est une boule qui ne cesse de rétrécir.
Ma mère souffle, un léger rire lui échappe.
― Ma chérie... ce n'est pas vraiment le moment, là.
Ce n'est jamais le moment.
Je me tais.
Je déglutis.
J'acquiesce.
― Je sais.
Ma tête se baisse et mes yeux restent vissés sur mes pieds qui tremblent.
― Mais tu sais... moi-même, je l'ignore. À vrai dire, personne ne sait vraiment. Même ta grand-mère ne savait pas ce qui est arrivé à sa sœur. Elle n'est jamais revenue, après tout. Personne n'est jamais revenu.
Ma bouche s'assèche.
Mon corps me brûle.
Ma nuque me démange, un feu s'y frotte et la taquine.
― C'est toujours des femmes.
Un moment de réflexion. Un hochement de tête.
― Toujours.
― Et... elles disparaissent ?
― Oui.
― Mais pourquoi ?
Je brûle.
― Je ne sais pas, Lorelei. Je ne sais pas. C'est une vieille histoire, il y a des légendes qui s'y rattachent et qui nous expliquent que notre famille a été marquée... par une histoire de dragon, ou de dieux, ou de trahison.
Je brûle.
― Comme tu le sais très bien, personne n'est revenu pour réellement nous l'expliquer. C'est à ceux qui restent derrière d'écrire l'histoire. Mais comment faire quand on a si peu d'indices ?
Je me consume.
Personne n'est jamais revenu.
J'ai un mauvais pressentiment.
Ma tante apparaît brusquement. Le visage pâle, les traits livides, le regard fou de douleur. Elle balaie la pièce de ses grands yeux effrayés, cherche sa fille et ne la trouvant pas, se tourne vers le couloir, accourt vers sa chambre. Elle crie. Elle pleure. Elle refuse de laisser son enfant partir, elle lui hurle des insultes tout en se débattant avec la porte fermée à clé. Ses joues sont rouges de colère, mouillées par des larmes, ses boucles se défont lentement.
Ma mère la rejoint en quelques bonds.
La serre dans ses bras.
Lui murmure des mots d'encouragement.
― C'est son choix, c'est son choix. Nous nous devons de le respecter.
La porte reste toujours fermée.
― Je ne peux pas faire ça ! Ma petite fille ! Ma petite fille ! Ma petite fille !
Soudain, la chaleur monte.
Et j'ai mal, j'ai mal, j'ai mal.
Je me plie en deux.
La douleur est forte, elle m'accable, elle me martyrise, refusant de me laisser en paix. Mon corps est fiévreux, et je brûle, et je brûle à petit feu. Une toux incontrôlable me déchire la gorge, un rire nerveux s'échappe de mes lèvres, ma vision se floue et je crois que des larmes coulent sur mes joues. Et je suis terrorisée. Terrorisée parce que je ne comprends pas, parce que je ne semble plus avoir une voix. J'essaie de les appeler, mais je n'y arrive pas. Mon dos se courbe, mes bras se serrent ; je suis parcourue de frissons.
Et tout s'emmêle.
Ma tante qui continue de crier.
Ma mère qui continue de m'ignorer.
Ma cousine qui continue de pleurer.
Tout n'est plus qu'un mélange étrange et incompréhensible, les visages se déforment, les couleurs s'effacent, les corps tournent et le sol tangue. La terre se met à effectuer une rotation trop rapide, et je n'arrive pas à suivre, je n'arrive pas à comprendre.
Tout va trop vite. Bien trop vite, je songe, installée dans un brouillard.
Puis le sol disparaît.
Mais la douleur ne s'en va pas. Toujours là, toujours présente, elle me taquine et me torture. Mon corps brûle, brûle, brûle. Je me consomme. Et je ne suis plus que cendres. Une trainée de cendres qui s'envole et s'évapore, qui est emportée par une brise légère et insolite. Une trainée grise et difforme, qui flotte, qui tournoie, qui dégringole. Je me disperse, je m'éparpille, je me perds.
Mais une petite voix demeure, cependant.
Une petite voix qui susurre, rigole et se moque « Ce n'était pas elle. Pendant tout ce temps, toutes ces années passées à la plaindre et à redouter ce jour, toute cette mascarade, tous ces traitements de faveur, toute cette attention reçue.... Et ce n'était même pas elle ».
Mon amertume m'importe.
Et je tombe.
Je tombe.
Mots d'auteure : Voici donc le chapitre deux ! On est toujours plongés ans le flou, j'en suis consciente mais j'espère vraiment que ça ne vous agace pas ! Promis, des explications arriveront tôt ou tard !
Sinon, ce chapitre... qu'en pensez-vous ? Avez-vous une idée de ce que je pourrais vous réserver ? L'intrigue qui commence à pointer le bout de son nez vous attire-t-elle ? Et ce personnage, notre petite Lorelei qui a passé sa vie dans l'ombre de sa cousine, son sort... j'espère que ce n'était pas trop prévisible ! J'aime bien surprendre mes lecteurs, et j'essaye vraiment de ne pas tomber dans les clichés, mais que voulez-vous.. parfois c'est inévitable.
Enfin, juste pour vous dire que nous avançons bien, et que le chapitre trois aura le point de vue d'un autre personnage ! Un mâle, cette fois-ci.
J'espère de tout coeur que la lecture vous a plu.
Merci d'avoir lu !
Crédit musique : Moments, de Vadim Kiselev.
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MAUDITE
FantasíaLa marque. Synonyme de désespoir, témoin d'une malédiction. Contre toute attente. Elle est marquée. Personne ne savait, leur dos, à tous, était tourné. Maudite. Elle a disparu. Au milieu de la nuit, au commencement de minuit. Étonnée. Dans un océan...