Chapitre DEUX : L'Issue d'un Destin Tragique

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Partie I

Une odeur de cannelle flotte dans l'air.

Ma tante se tient debout, devant moi, sa jolie robe en satin soulignant une silhouette fine, bien trop fragile. Sa peau blanche forme un contraste avec le noir de ses cheveux, son visage parait livide alors qu'elle fixe sa fille, et tente un vain sourire. La tristesse de son regard ne trompe personne. Pourtant, la voilà qui essaye, encore et encore, fait chanter une voix fatiguée, dissimule des larmes derrière un sourire enchanté. Ses lèvres se plissent, minces, rouges et meurtries :

― Tu te souviens, ma chérie, de cette étrange passion que tu avais, à sept ans ?

Alexia rit, hoche et baisse sa tête couronnée par des boucles brunes. Elle espère encore pouvoir, sous son épaisse frange, cacher sa mélancolie inavouable.

― Bien sûr.

Sa voix tremble, ses mains tremblent alors qu'elle s'empresse de les cacher dans son dos.

― Ce n'était pas une passion étrange, maman, elle réplique tant bien que mal. J'aimais juste la nature. Je voulais juste être scout.

― Tu te souviens, au super marché, quand tu m'as prise par la main et tu m'as suppliée de t'acheter une tente. Tu voulais la partager avec tes amis..., sa voix reste dans le suspens, son regard se perd dans le vague, le rouge de ses lèvres cesse de s'émouvoir.

Puis elle reprend :

― T'en souviens-tu, Alexia ? T'en souviens-tu ?

Sa fille hoche la tête, encore et encore et encore, la gorge serrée. Des larmes perlent, des larmes brillent mais ne coulent pas. Pas encore.

― Oui... maman. Bien sûr que je m'en souviens.

Elle se tait, réfléchit, répète, d'une voix à peine audible :

― Bien sûr que je me souviens.

Elle déglutit. N'osant continuer, sa tête se baisse toujours, concentrée sur ses genoux fermement serrés, concentrée sur le tissu rouge de sa robe qui tombe à ses pieds.

― C'est plus tard dans la soirée qu'on l'a découverte, n'est-ce pas ?

Cette question est futile, cette question est douloureuse, pourtant ma tante ne peut s'empêcher de la poser dans un souffle ému. Sa main se lève, elle couvre sa bouche, frotte ses yeux, pince ses joues, et le regret s'installe rapidement dans son cœur qui agonise. Elle regrette, déjà, ces paroles jetées, ces mots prononcés à la va vite sans une once de réflexion quant à leur répercussion.

― On avait dit qu'on-

― Je suis désolée, rétorque Laura en se levant, faisant semblant d'avoir oublié quelque chose dans la cuisine.

Elle disparaît rapidement derrière une porte qui se claque, et on entend une eau qui coule, des assiettes qui s'entrechoquent, des ustensiles qui se perdent dans la poigne ferme et douloureuse d'une main qui tremble.

Ma mère soupire, elle entortille une mèche autour de son doigt, distraite. Puis ferme ses paupières, se masse les tempes, se tait, réfléchit, et nous regarde soudainement.

― Je te souhaite une joyeux anniversaire, ma chérie, lance-t-elle à ma cousine, se levant soudainement et l'embrassant tendrement.

Les joues d'Alexia rougissent, mais un voile sombre dissimule ses traits. Ses bras se croisent tandis qu'elle feint un sourire.

― Merci tante Mary.

Elle déglutit, et son sourire se fissure, et ses yeux brillent, sa douleur est écrasante.

― Vous allez vraiment me manquer. Toi aussi, Lore.

Ses pupilles bleues dérivent, se posent sur moi et me fixent en silence, me montrent un semblant de jalousie, sentiment impur qu'elle tente vaguement de dissimuler. Elle songe, sans doute, à l'injustice de la question, l'injustice de la situation et peut-être qu'elle m'en veut, peut-être qu'elle me déteste profondément pour mon destin bien trop clément. Peut-être, peut-être, peut-être.

Au fond de moi, je le sais très bien.

Alexia et moi n'avons jamais été réellement des amies.

Bien avant la marque, bien avant que cette histoire ne commence, bien avant que les problèmes ne s'abattent et que la rage, la tristesse, l'amertume ne viennent empiéter sur notre chemin.

Son mensonge me fait sourire.

Et ma peau me brûle.

Une odeur de cannelle flotte dans l'air.

― Je vais dans ma chambre, maintenant.

Le tic-tac de l'horloge s'entend dans le silence qui retombe. Menaçant ou amusé, il nous nargue de son rythme éternellement régulier, et nous rappelle calmement que le temps continue de fuir, que nos paumes ne savent comment retenir ces grains de sable qui coulent, coulent, coulent.

Minuit approche.

Deux minutes.

La chair de poule couvre mes bras.

― Tu es sûre de vouloir être seule ? murmure ma mère.

Son souffle ne tient plus qu'à un fil.

― Je ne veux pas que maman assiste à ça. Je ne veux pas que vous voyiez ça, ça serait trop...

Sa voix se brise, sa voix se casse en un millier de morceaux incollables.

― Je comprends.

Ma mère s'avance. Ouvre les bras. La serre contre elle, puis la laisse partir, courir se cacher derrière le bois épais d'une porte infranchissable. Une odeur de lilas suivant ses pas.

Des sanglots se font entendre.

Un bruit sourd se fait entendre, et je l'imagine être tombée, être à genoux, accroupie et impuissante, supplier des dieux qui n'existent pas dans ce monde alors que des larmes dévalent ses joues.

Mon cœur se serre, ma poitrine s'affaisse, et je respire, ou tente d'inspirer, tente de m'accrocher, tente de rester debout malgré les frémissements répétés de mon corps. J'essaye d'être forte, de rester droite et fière et grande, mais je tremble, tremble et tremble. La douleur m'accable. Qui l'aurait cru ?

Je pleure déjà la disparition d'un être que je n'apprécie même pas.

Je suis fiévreuse.

― Quelle triste malédiction, souffle ma mère en se laissant tomber sur une chaise.

Une fumée grise s'élève des dix-huit petites bougies. 


MAUDITEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant