Partie I
Le ciel est mauve.
Je lève le nez, une odeur de pluie m'effleure. La caresse du vent est douce sur ma peau, presque énergisante, presque électrisante. Les arbres, autour, sont des éclats d'émeraude qui me fixent et qui dansent, lente danse macabre. Mon souffle disparaît. Mes lèvres se serrent, mes jambes me brûlent. Je baisse la tête, me rends compte que je cours.
Je cours, vite, vite, à en perdre haleine.
Pourquoi ? Cette question disparaît dans le mauve des nuages. Et bientôt, bientôt. Le paysage s'efface. Des maisons, des grandes pierres grises me font face, des petites fenêtres qui laissent échapper une lumière qui frétille et qui frisonne, bougie oubliée, bougie rejetée. Une ombre qui se glisse sur les murs, fuit, elle aussi. L'éclat d'un rire me parvient, lointain, confusément. Et moi je cours, je cours toujours.
Mon corps tourne à droite.
Ma vision devient floue, confuse devant ce mélange de formes et de couleurs qui s'opère si rapidement. Pourtant, je ne m'arrête pas. Déjà, je m'enfonce dans une ruelle et je suffoque, l'obscurité m'oppresse. Noir, noir, noir, tout n'est que ténèbres et solitude. Une peur confuse monte alors, goût âcre de la terreur qui danse sur ma langue. Le froid intervient, je deviens un morceau de glace. Et un rire, toujours lointain, des mots qu'on jette au vent. Promesse qu'on s'empresse d'ignorer.
Un éclat de lumière.
Et je me fige.
Arrêt brutal, mauvais pour mon cœur. Cœur qui bat, bat, bat, désespoir qui croît. Mes cheveux sont soulevés, le monde se colore d'or, mais les couleurs ternes des maisons se battent. Je me tourne, la bouche ouverte sur une surprise muette. Mon regard s'agrandit, mon étonnement aussi. Un brin d'inquiétude survient alors que je reconnais mon visage. Visage collé sur un vulgaire bout de papier, mosaïque qui se répète, qui recouvre la pierre grise, les fenêtres, le ciel. Une voix me crie de m'éloigner, l'odeur du danger plane autour mais je m'enfonce dans ma bêtise. Je m'approche. M'approche. Lève un bras, effleure, regarde, observe. Remarque. Un grain de beauté, tâche noire sur la pommette gauche et je respire enfin. Ce n'est pas moi. Pas moi.
Les yeux clairs de l'inconnue me fixent avec véhémence.
Soudain, le rire se transforme en hurlement. Des cris déchirent l'espace, des bruits de pas, des coups, des coups, des coups, le monde devient un chaos contrôlable. Mon ventre se serre, et je me tourne. Les affiches disparaissent, l'humidité me fait frémir. Devant moi, une maison, petite, minuscule, vraiment, cachée entre deux domiciles plus grands et plus beaux, camouflée dans l'ombre comme par désir de disparaître. Sa porte en bois pourri est grande ouverte sur un couloir minuscule. Sur le tapis brun une femme se tient, à genoux. Elle hurle, hurle mais je n'entends pas ses mots. Des pleurs la brisent en deux, son visage se cache entre ses mains. Sa chevelure, autrefois composée d'or, n'est plus que fils d'araignée poussiéreux. Des hommes l'entourent, insensibles. Des ordres sont donnés, encore des cris qui s'ajoutent lorsqu'on attrape son bras et qu'on la tire avec violence. L'inconnue proteste mais personne ne l'écoute. Personne ne la voit.
Ils la traînent et l'entraînent vers une calèche. La poussent, elle tombe, elle implore, elle abandonne. La voiture se met en route et j'esquisse un pas, voulant les suivre. Mais on en décide autrement.
Tout d'un coup, on m'attrape par les épaules et on me tire. Je disparais à mon tour dans l'ombre, perds l'équilibre lorsqu'on me lâche et je tombe, atterris sur un tapis moelleux.
Hoquet de surprise. Je touche ma peau, touche mes joues. Irréel. Je suis chez moi, je constate. Chez moi, je répète. Chez moi, je pleure. Mon cœur se serre, nerveux, mais je l'ignore. Je me lève en un sursaut. Traverse le salon en un bond. Rejoins la cuisine, vide. De la salle à manger, des voix s'échappent. Prudente, comme hésitante et toujours aussi nerveuse, je m'approche. Ne respire pas. Ne réfléchis pas et tends l'oreille. Cachée, j'écoute.
― Pourquoi ? Pourquoi ?
Les sanglots de ma mère me déchirent. J'ai envie, de la rejoindre, de la serrer dans mes bras, de lui dire que tout va bien et que je suis là. Pourtant, immobile. Je ne bouge pas.
― Je suis tellement désolée, Mary. Tellement, tellement désolée.
― Pourquoi ? Pourquoi ?
― Ce n'est pas ta petite fille qui aurait du... qui était sensée... qui était marquée, hoquète ma tante.
Je m'approche, toujours, toujours à bout de souffle.
― Tu ne comprends pas, ne comprends pas, ma mère secoue sa tête.
― Je ne comprends pas ta douleur car je suis obnubilée par ma propre joie. Mais je veux être là, je veux comprendre, je veux t'aider.
― Tu ne comprends pas, des larmes coulent sur ses joues. Depuis le début, depuis le début ! Ce n'était pas Alexia ! Mais elle, elle ! Et j'avais cru, en allant voir cette femme, en faisant mes recherches, avec un peu d'argent... bon Dieu, j'aurai donné ma vie ! Mais ça n'a pas marché, pourquoi, pourquoi ?
Ma mère se lève, rapidement. D'une main furieuse, elle cache son visage écarlate, frotte ses yeux douloureux. Vite, vite, elle s'approche, entre dans la cuisine. Parcourt la pièce d'un regard vide. Et je me tiens, au milieu, un demi sourire figé sur mon visage, le cœur ensanglanté sans même savoir pourquoi. Je suis là, immobile, et ma voix s'enraille, mes membres prennent racine dans le sol, mon âme s'efface avec douceur. Je tends mes bras. Je pleure. Je ris. J'attends. Impatience.
Elle me traverse sans même s'arrêter.
Je me transforme en un écran de fumée.
L'incompréhension fuse, la déception me tue. Et je me rappelle, tout d'un coup. Un sourire amer se fraie un chemin, alors, et je me laisse tomber par terre.
― C'est un rêve, chuchote une voix à mes côtés.
Je ne daigne lever les yeux. De toute façon, je sais, je sais déjà.
L'inconnue m'effleure et serre mon épaule, presque avec douceur. Mais je m'écarte, de mauvaise humeur. Je ne suis plus que douleur.
― Pourquoi es-tu si triste ?, sa voix est un murmure.
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MAUDITE
FantasyLa marque. Synonyme de désespoir, témoin d'une malédiction. Contre toute attente. Elle est marquée. Personne ne savait, leur dos, à tous, était tourné. Maudite. Elle a disparu. Au milieu de la nuit, au commencement de minuit. Étonnée. Dans un océan...