Partie I
Elle dormait.
Paisiblement. Ses inspirations étaient légères mais régulières, son buste se soulevant à chacune d'entre elles. Un léger sifflement se faisait entendre lorsqu'elle expirait, un petit ronflement qui étonnait. Elle avait l'air étrangement sereine. Son visage figé dans une expression de béatitude, elle souriait, presque, lâchait des mots mâchés et quelques exclamations, un rire, même, de temps en temps qui mourait rapidement, étouffé par le silence de plomb. Elle devait rêver, agréablement plongée, agréablement noyée dans ses illusions. Mais tout ira bien. Oui, tout ira bien pour elle, elle s'en sortira ; telles étaient les observations qu'on pouvait faire, en la regardant, les premiers jours. Mais, impensable. Mais la situation s'empira. Petit à petit. Au fur et à mesure que le temps avançait, l'inquiétude commençait à croitre et les incertitudes, vicieuses, plombèrent l'atmosphère. De plus en plus. Bientôt, on en était plus très sûrs, de ce rétablissement imminent. Bientôt, on ne comprenait plus pourquoi cela s'éternisait encore. Qu'est-ce qui clochait ? Pourquoi ne se réveillait-elle toujours pas ? Les soigneurs avaient dû faire fausse route, se tromper, quelque part. Ils retournèrent à leurs manuels, s'investirent, recherches après recherche, à son cas. En vain.
Une.
Deux.
Trois semaines passèrent.
C'était peu, mais beaucoup en même temps. L'espoir, traitre, faiblit rapidement. Lorsque la quatrième semaine fut entamée, son cas fut mis de côté avec une nonchalance déconcertante qui empestait l'embarras. Inévitable. Les soigneurs ne savaient plus, ne cherchaient plus. Ils avaient abandonné, l'un après l'autre, l'un après l'autre. Et s'étaient tous cachés derrière d'autres malades, d'autres cas, d'autres sauvetages couronnés de succès. Leur orgueil en avait besoin.
Sans beaucoup de cérémonie, on l'avait donc cachée dans une chambre, au fond du palais, dans une aile que personne ne fréquentait. Une seule personne, une apprentie, se chargeait d'elle. De cette inconnue que personne ne connaissait vraiment. L'oubliée. L'invitée du prince.
Cette Laurelei tombée du ciel.
Moeron posa sa main sur une vitre colorée. Le froid mordit sa peau, pourtant il ne recula pas. Il souffla. Perdu dans ses pensées, il regardait, au loin, observait un paysage désolé. Avec une pointe de regret. Une autre main vint se nicher dans ses cheveux, les ébouriffa. Peu à peu, ses traits se détendirent. Peu à peu, ils changèrent. Une expression qu'il n'aurait jamais montrée à qui que ce soit se dessinait désormais ; il était plongé dans la mélancolie. L'affreuse Mélancolie.
Il venait lui rendre visite. Lui seul. Aussi étrange que cela pouvait sonner, il venait, tous les trois jours, dans cette chambre froide constamment plongée dans l'ombre, se dresser devant cette petite vitre composée d'une myriade de vitraux qu'on avait assemblé sans se soucier de leur donner une quelconque forme. Le silence lui tenait compagnie. Il l'aimait, à vrai dire, cette tranquillité, cette solitude, il aimait le fait de pouvoir oublier, pendant une heure ou deux son statut de prince et toutes les responsabilités que cela pouvait engendrer. Il souhaitait s'évader. Oui. En vérité, il venait surtout pour se cacher.
Quelle lâcheté. Quelle honte. Indigne d'un prince.
Mais Moeron s'en fichait.
Il laissa sa main glisser avec douceur, tomber, rejoindre son flanc. Se tourner. Inspirer. Regarder.
D'autres raisons. Il avait aussi d'autres raisons de venir.
Quelque part, quelque part. Il ressentait une certaine responsabilité envers cette fille. Il l'avait amenée là, il l'avait obligée, sans écouter une seule seconde ses protestations et s'était dépêché de s'évaporer, la laissant ainsi seule au milieu de ces rats avides de pouvoir. Et maintenant... maintenant quoi ? C'était de sa faute ? Ses sourcils se froncèrent. Un flottement et le doute le fit frissonner. Incertain. Mais rapidement, sa Fierté, stupide, se releva et rugit. Fort, fort. Non, bien sûr que non ! Il soupira, agacé. Regret et Orgueil se disputaient violemment, et lui, prit entre les deux, flanchait. Hésitait. Il en ressortait dégoûté.
― Ma...maman...
Soudain, une voix. Sa voix.
Il releva la tête.
Elle avait parlé. Elle avait murmuré. Elle avait imploré, ce mot sortant de sa bouche telle une supplication qu'elle ne pouvait assumer. À présent, elle se recroquevillait, les mains serrant ses draps, des larmes coulant, flot intarissable.
Elle dormait.
Elle se perdait, elle se noyait dans des rêves sans fin. Prise au piège dans les fils de l'inconscient, elle ne semblait savoir comment faire pour s'en sortir. Pour se réveiller. Et, si elle avait réussi à tromper les experts avec une expression de bonheur les premiers jours, ses traits n'ont pas mis longtemps avant de se déformer. Ses sourcils, donc, ont fini par se froncer, ses lèvres par se mordre, ses dents par grincer. Bien assez tôt. Bien assez tôt, ses cris se teintèrent d'angoisse, ses larmes apparurent, se multiplièrent, inondèrent son lit. À présent, elle semblait être plongée dans un cycle de souffrance sans fin, condamnée à dormir, aucun réveil n'étant possible.
Pauvre petite chose.
De la pitié. Il ressentait un mélange confus de pitié, de regret et de frustration. À chaque fois. À chaque fois qu'il la regardait, à chaque fois qu'il voyait ses petites mains se transformer en poings, son petit corps se rouler en boule sous les innombrables draps, il sentait ce chamboulement tranquillement s'opérer. Son cœur se serrait. Sa respiration devenait saccadée. Une douleur, vive, lui lacérait la poitrine.
Il détestait ça.
Il était confus. Il était en colère. Comment l'expliquer ? Il ne la connaissait mêmepas ; pourquoi cette douleur ? Lui qui était si indifférent, lui qui s'en fichait toujours de tout et de rien et qui pourrait laisser le monde entier mourir, si cela lui apportait des avantages, pourquoi était-il atteint ? Pourquoi, pourquoi, pourquoi ? La série de questions ne faisait qu'augmenter sans qu'il ne puisse rien y faire.
Cette impuissance était insupportable.
Lui, Moeron, le fils du roi, du grand roi terriblement fier d'Eira, un royaume puissant, et ancien, et qu'on couvrait de louages. Comment, comment pouvait-il se retrouver ainsi condamné ? Impossible. Impossible !
Et pourtant.
La fille s'agita, encore, encore, encore. Sa voix, aigue, ses plaintes, ses pleurs, ses cris, ses murmures, chacune de ses expirations était une décharge qui l'électrocutait. Il tremblait, suffoquait sous le poids de son regret.
Pourquoi continuait-il de venir ?
Quel intérêt, s'il en ressortait aussi nerveux ?
Serait-il plus qu'une mauvaise graine, finalement ?
Il repoussa ces questions. Pas besoin d'en ajouter plus à son tourment.
Faire quelque chose. Il devait faire quelque chose.
Alors il s'approcha. S'approcha. S'approcha encore du lit de la malade. Avec une prudence infinie, souleva sa main. Effleura sa peau. Moite, son front était brûlant. Elle était brûlante. Une pointe d'agacement; où était l'apprentie ? L'incompétente, il lui en touchera deux mots plus tard. Plus tard. Pour l'instant, il avait plus important à faire. Avec cette même douceur infinie, il caressait ses cheveux, laissait filer ses fils d'or, l'œil observateur. Il inspira, gonflant son buste et fermant les yeux. Se concentrer. Ramasser. Retenir. Relâcher. Une brise, étrange, magique, flottait autour d'eux. Souffle, souffle. Rapidement, la température chuta dans la chambre. Le corps de Lorelei se refroidit. Sous les doigts du prince, elle frissonnait désormais. Un soupir d'aise, cependant, lui échappa. Le repos, elle le gagna.
Enfin.
Un certain soulagement se fit sentir. Et contre toute attente, Moeron sourit.
― Quel joli sourire, une voix susurre.
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MAUDITE
FantasíaLa marque. Synonyme de désespoir, témoin d'une malédiction. Contre toute attente. Elle est marquée. Personne ne savait, leur dos, à tous, était tourné. Maudite. Elle a disparu. Au milieu de la nuit, au commencement de minuit. Étonnée. Dans un océan...