2. Caldeira

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"Ce sont les étoiles, les étoiles tout là-haut qui gouvernent notre existence"  Shakespeare


Mon regard erre sur la terre ocre et caillouteuse, poursuit sa course sur les modules à moitié enfouis sous des couches de régolite de la base martienne au loin.

La caméra accrochée à mon casque filme le moindre de mes mouvements.

Lorsque j'ai eu dix ans, j'ai pris conscience du fait que moi, première enfant de Mars, étais aux yeux des terriens un symbole. L'allégorie de la conquête de l'Homme.

Ce n'est pas la seule chose qu'il s'est passée cette année là. Il y a huit ans, les responsables du projet, voyant que je grandissais normalement et que je semblais tout à fait humaine et en bonne santé, ont donné leur accord pour que les colons conçoivent d'autres bébés extra-terrestres. Mars, qui après une douzaine d'années de colonisation était rentrée dans l'ordre des choses, s'est retrouvée à nouveau sous le feu des projecteurs terriens.

J'en ai profité. Durant mes dix premiers ans terrestres d'existence, je m'étais sentie désespérément seule. Les enfants à naître seraient bien trop jeunes pour devenir de réels amis. Alors j'ai proposé mes services à Davis, le directeur du projet Mars Utopia.

Depuis, je fais des vidéos où je filme la vie de la station, où je parle face caméra de ma vie. Eh oui, Internet a ainsi colonisé l'espace. Tout ça pour tromper la solitude d'une fille née sur une autre planète - et accessoirement, faire engranger une quantité ahurissante de dollars au projet.

Il y a quelque chose d'assez étrange à parler à des gens que je ne verrais jamais, mais j'ai décidé de ne plus m'en soucier. Ces vidéos, c'est ma seule connexion avec cette planète bleue que je rêve tant de connaître. La seule preuve de mon existence.

J'en suis là dans mes réflexions lorsque Alma m'interrompt.

— Bon, fille de Mars, on a du travail!

Je pousse un soupir qui devra certainement s'entendre jusque sur Terre si je ne le supprime pas au montage.

Dans cette simple phrase, quelques uns des inconvénients, ou avantages, de ma situation. Tout d'abord, ce surnom ridicule, tiré du nom du show télévisuel mensuel qui m'est consacré sur Terre, où l'on passe mes vidéos publiées et où une horde de spécialistes et de scientifiques discutent de la question de la colonisation et de la vie martienne. Ensuite, le travail. J'aurai dû choisir, comme le feront les autres enfants, un métier. Au lieu de cela, on a préféré ne m'assigner aucune tâche particulière. Je papillonne d'une profession à l'autre, afin que les terriens qui voient Mars de mes yeux constatent l'étendue du projet. Cultivateurs, ingénieurs, médecins, biologistes, astro-physiciens, géologues, communication, eau, électricité, oxygène.

Pour l'heure, mon job consiste à ramasser des cailloux. Absolument fascinant pour mes chers amis les terriens.

Alma est d'origine norvégienne. Elle est arrivée sur Mars quand j'avais quatre ans. Seule exploratrice de la planète rouge parmi les cinq hommes explorateurs, je dois avouer que sa compagnie m'est fort agréable et c'est presque toujours en sa présence que j'effectue mes sorties. Peut-être parce qu'elle est souvent dehors, à côtoyer cette horrible terre caillouteuse et ensablée, c'est une des rares personnes sur cette base qui comprenne mon envie d'océan et de forêts.

Sur ses indications, je récoltes des roches, les exhibant à la caméra avec une joie si théâtrale que je finis par réellement sourire devant le comique de la situation.

Il nous faut une longue demi-heure pour rejoindre le base, en nous démenant contre les combinaisons qui pèsent leurs poids, et contre la gravité.

Fille de Mars -Où les histoires vivent. Découvrez maintenant